Aujourd’hui, la tendance est très clairement orientée vers la diversification des ressources énergétiques en carbone renouvelable. A ce titre, la biomasse est jugée très intéressante dans la mesure où elle est à même de fournir la matière nécessaire à la production de biocarburants de 2ème génération et aussi de molécules de synthèse, de polymères et de matériaux….
Le projet européen BIOCORE (« BIOCOmmodity REfinery ») va concevoir et analyser la faisabilité industrielle d’une bioraffinerie permettant de convertir les déchets agricoles et forestiers en biocarburants de 2ème génération, en molécules chimiques et en polymères plastiques biodégradables.
Pourvez-vous nous présenter les grandes lignes de ce projet extrèmement novateur?
Le premier défi sera de démontrer le fonctionnement d’une bioraffinerie à partir d’une biomasse très variée. Pour ce faire, le projet analysera dans un premier temps les paramètres influant sur la gestion d’approvisionnement de la bioraffinerie en paille de blé et de riz, en résidus forestiers et en bois de taillis à courte rotation. Plusieurs scénarios qui prendront en compte la saisonnalité des récoltes et les conditions de transport seront menés dans différentes régions d’Europe et d’Asie.
Sur un plan plus technique, le projet développera et optimisera les procédés permettant de valoriser la biomasse au niveau de toutes les étapes de sa transformation. La première étape consistera à traiter la biomasse brute pour en extraire ses principaux constituants valorisables : la cellulose, la lignine et les hémicelluloses. Le projet européen adaptera à tous types de biomasse un procédé breveté qui utilise des solvants organiques.
Par la suite, il combinera le développement de technologies biologiques et thermochimiques sophistiquées pour la transformation de la cellulose, des hémicelluloses et de la lignine en carburants de 2ème génération, résines, polymères plastiques (bio-PVC, bio-polylefins, polyuréthane, polyester etc.), détergents ou encore additifs alimentaires.
Dans Biocore, la biomasse n’est pas uniquement valorisée sous forme de ressource énergétique. Elle est également considérée comme une source de carbone utilisable dans la synthèse de molécules chimiques et comme substitut au carbone utilisé en pétrochimie. Le but est ici d’aboutir à un éventail de produits valorisables sur des marchés extrêmement variés.
Si tout va bien, la mise en oeuvre du projet couvrira ainsi plus de 70% du marché mondial des polymères (utilisés dans l’industrie textile, l’emballage, la construction, les peintures, etc.).
En portant un certain nombre de technologies jusqu’à l’échelle du pilote industriel, Biocore apportera la preuve du fonctionnement de la bioraffinerie dans des conditions proches de celle du marché. Les procédés étudiés seront modélisés et optimisés sur le plan technologique et économique pour démontrer la faisabilité technologique des différentes voies de valorisation.
Sur le plan environnemental, il permettra de mettre en place des études multicritères de durabilité qui permettront dans un premier temps d’analyser puis de maîtriser les impacts environnementaux du fonctionnement de la bioraffinerie. Les impacts sur l’utilisation et la qualité de l’eau, l’utilisation des terres, la fertilité des sols, les réservoirs de carbone souterrains, la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre et la rentabilité énergétique font partie des nombreux paramètres qui seront pris en compte.
Enfin, il assurera le transfert des technologies étudiées aux secteurs énergétiques, chimiques, biotechnologiques, agricoles et forestiers, ainsi qu'aux décideurs politiques et économiques.
Quels en sont les enjeux majeurs ?
Le changement climatique et la dépendance de notre société à l’égard du pétrole nous poussent inéluctablement vers un nouveau modèle économique fondé sur l’utilisation de la biomasse. Pour que cette bio-économie puisse se développer, il est urgent, compte tenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de faire avancer les biocarburants de 2ème génération vers le stade de l’industrialisation et de trouver des solutions scientifiques et technologiques pour remplacer les autres produits issus de la pétrochimie par des bioproduits.
Biocore s’inscrit dans cette dynamique car il vise à la fois la production de bioéthanol dans un pilote industriel et la production à partir de la biomasse d’un grand nombre de molécules de synthèse qui serviront pour la fabrication de polymères thermoplastiques (ex. PVC, les polyoléfines, les polyuréthanes, les polyesters) qui constituent plus de 70% du marché mondial des polymères.
En quoi consiste son originalité?
Pour surmonter des difficultés liées au fractionnement de la biomasse, Biocore fait appel à une variante de la technologie dite Organosolv développée par la société CIMV. Cette technologie brevetée permet l’extraction optimale des trois composants principaux de la biomasse (cellulose, hémicelluloses et lignines) et ouvre ainsi la possibilité de valoriser l’ensemble de la matière première. Une deuxième originalité qui découle de l’emploi de cette technologie concerne la polyvalence au regard de la matière première utilisée. Biocore développera le concept d’une bioraffinerie multi-ressources qui utilisera à la fois des résidus de grandes cultures (pailles), des résidus forestiers et aussi le bois des taillis à courte rotation.
La biomasse comme source de carbone est une notion centrale au projet. Il a en particulier pour ambition de répondre aux futurs besoins en produits carbonés, notamment par la production d’oléfines et d’acides organiques qui seront destinés à l’élaboration de plastiques. Concernant les oléfines, Biocore a pour objectif de développer des voies de bioproduction originales, avec des systèmes microbiens capables de produire d’une part de l’éthylène et d’autre part du propan-2-ol (précurseur du propylène). Par ailleurs, il relèvera le défi de l’intégration des biotechnologies et de la chimie en expérimentant à une échelle de pilote industriel la production du bio-PVC à partir de la cellulose.
Enfin, ce projet est résolument tourné vers l’international, avec l’inclusion au sein du consortium d’un partenaire indien. Conscient que la future bio-économie sera nécessairement mondiale, mais que son développement ne se fera pas de manière égale dans toutes les régions du monde, il modélisera les différents scénarios de bioraffinage en prenant en compte des paramètres tels que l’approvisionnement en biomasse et les impacts environnementaux et sociaux.
Quel est l’enjeu du projet Biocore pour l’INRA?
Aujourd’hui, on attend de l’agriculture et de la forêt qu’elles remplissent plusieurs rôles, et notamment la production des biens énergétiques et industriels en substitution aux produits issus du carbone fossile. Par conséquent, en cohérence avec sa mission, l’INRA conduit depuis plusieurs années des recherches scientifiques visant le développement de nouvelles solutions technologiques dans ce domaine.
En particulier, à travers son réseau de recherche « Carbio » (carbone renouvelable et les bioindustries), l’INRA a considérablement renforcé ses capacités afin de jouer un rôle majeur tant sur le plan national qu’européen. Dans ce contexte, Biocore s’insère dans une logique de filière développée par l’INRA : en témoigne l’implication de nos équipes de recherches à la fois en amont pour l’adaptation et la production de la biomasse (ex. projets européens NovelTree et Energy Poplar) jusqu’à la transformation de la biomasse en produits (Biocore).
Quels sont les moyens mis en oeuvre par l’INRA ?
Les forces déployées dans Biocore relèvent du département CEPIA (Caractérisation et la transformation des produits issus de l’agricuture). Elles concernent plus particulièrement le Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Biologiques et Procédés (LISBP) basé à l’INSA de Toulouse. Cette unité mixte (UMR INRA - CNRS) focalise une partie de ses travaux sur le développement de procédés biotechnologiques pour l’utilisation du carbone renouvelable.
Dans ce projet, les chercheurs de trois équipes du LISBP travailleront sur le développement de nouvelles enzymes et de procédés enzymatiques ainsi que sur le développement de microorganismes (bactéries et levures) pour la transformation directe de la biomasse en oléfines. Les travaux du LISBP seront soutenus dans Biocore par des chercheurs de l’UMR FARE (Fractionnement des agro-resssources et environnement, INRA- Université de Reims Champagne-Ardennes (URCA), Reims). Les recherches de ce laboratoire sont entièrement dédiées au domaine du carbone renouvelable et traitent en particulier des questions liées à la caractérisation de la biomasse en vue de sa déconstruction et de la reconstruction de ces composants.
Au total, l’implication de l’INRA dans ce projet représente environ 4 emplois à temps plein de chercheurs pendant les quatre années que durera la mise en oeuvre du projet.
Quels sont les résultats concrets attendus ?
A l’issue du projet, Biocore aura établi divers schémas d’approvisionnement stratégique de la bioraffinerie en biomasse d’origine agricole et forestière. Il mettra en place des modèles permettant d’analyser la disponibilité et les voies d’acheminement des différents types de biomasse en fonction des saisons, de la région géographique, des moments et des techniques de récoltes. Ces données serviront à construire plusieurs scénarios applicables au fonctionnement d’une bioraffinerie en Europe et en Asie.
Biocore aura aussi démontré à l’échelle industrielle l’efficacité du procédé innovant à base de solvants organiques permettant d’extraire de manière optimale des fractions de cellulose, lignine et hémicellulose à partir de la biomasse. La pureté de ces fractions constituera la base nécessaire à la production de polymères naturels, de sucres fermentescibles précurseurs des carburants de 2ème génération, de lignines de haute qualité utilisées pour la fabrication de bio-polymères plastiques et des additifs alimentaires.
Il aura également développé et testé i) des technologies faisant appel à de nouveaux microorganismes et enzymes, ii) des procédés thermochimiques reposant sur des nouveaux catalyseurs et sur une technique de pyrolyse à basse température. Ces procédés et technologies innovants permettront de transformer les sucres (issus de la cellulose et l’hémicellulose) et les lignines en molécules chimiques d’utilité industrielle.
De manière inédite, ces procédés devraient conduire à la production d’éthylène et de propylène. Pour la première fois, l’éthylène serait produit à partir de la cellulose au cours d’un processus hybride combinant des biotechnologies et de la catalyse chimique.
De plus, des recherches innovantes, sur l’utilisation de nouveaux microorganismes dans le processus de fabrication de l’éthylène ou de l’isopropanol à partir de glucose (issu de la cellulose) et de pentose (issu des hémicelluloses) seront menées.
Il conduira à la fabrication de molécules dites de nouvelle génération. On peut citer les bio-PVC issus de l’éthylène ou des bio-polyuréthanes qui résultent de la transformation les lignines et des pentoses.
Il développera des modèles de production intégrés qui seront testés et affinés par la mise en place de démonstrations à l’échelle industrielle. Ces modèles permettront d’optimiser les chaines de production pour garantir un rendement optimal.
Afin de construire un modèle durable, Biocore mettra en place une évaluation des impacts environnementaux, sociaux et économiques liés au fonctionnement de la bioraffinerie. Cette analyse portera sur toutes les étapes de la transformation. L’analyse de plusieurs scénarios mettant en jeu des régions industrialisées et en voie de développement garantira la durabilité du projet dans diverses régions du monde.