BTP : des déchets à la pelle...
Pour y parvenir, cinq mesures phares.
Une REP est envisagée, même si le projet fait grincer les pro qui travaillent dans les règles de l'art, ceci afin de « parvenir à la gratuité de la reprise de ces déchets », l'idée ayant été puisée à pleines mains dans le récent rapport Vernier, remis au Gouvernement le 14 mars dernier. Pas sûr que cette projection finisse par plaire un jour, quand bien même l’Etat promet de prendre en compte « les impacts techniques et économiques du secteur de la construction ».
Au demeurant, les professionnels du bâtiment ne sont pas les seuls à se déclarer inquiets, voire farouchement opposés à la REP dans leur domaine d'activités, puisque la « gratuité » promise n'est qu'une « fiction économique », rappelle volontiers la Fédération du négoce de bois et des matériaux de construction (FNBM), tandis que la Confédération des métiers de l’environnement s'est déclarée elle aussi, peu favorable à la création de nouvelles filières REP, dans la mesure où ces dispositifs auront pour vocation à « se substituer à ceux existants et parfaitement éprouvés pour les déchets des entreprises, dont font partie les déchets du BTP ». On ne saurait être en désaccord, tant il est vrai que ceux qui travaillent dans les règles, qui pratiquent le tri, transfèrent les déchets dans des lieux prévus à cet effet (déchetteries) pour les petites entreprises, ou contractent avec des sociétés de recyclage, pour les plus importantes, pourraient invévitablement être pénalisés par une REP, qui imposerait ses règles strictes et allant parfois à l'encontre de ce qui a été mis en place et fonctionne bien. Seulement voilà, il en est qui bossent comme des margoulins, avec des déchets qui sont maltraités, ou s'évaporent... dans la nature. Si les professionnels dénoncent avec régularité ces pratiques on ne peut plus déloyales, elles restent désarmées pour endiguer le phénomène.
Une révision du « diagnostic déchets avant démolition » est dans les tuyaux : d'ici 2019, le Gouvernement souhaite revoir celui-ci (obligatoire depuis 2009 et la loi Grenelle II) « en profondeur » avec pour objectif de « passer à une logique de diagnostic/inventaire pour le réemploi et la valorisation des ressources et déchets de chantier » et aussi d'étendre son périmètre aux travaux de rénovation.
Pour aller plus avant dans l'efficacité et faire de ce document la fondation d'une base de travail solide, on procédera en parallèle, à un « renforcement des compétences et de la professionnalisation des acteurs réalisant ce diagnostic », lequel sera couplé à la sensibilisation et à la formation des maîtres d’ouvrage.
Le digital occupera une place centrale : on a pour volonté de dématérialiser le dispositif et de promouvoir l’utilisation des données ouvertes « afin de favoriser l’émergence d’applications numériques permettant de faire le lien entre l’offre de matériaux réutilisables et la demande ».
Le ministère dédié mise sur l’élaboration de guides techniques « permettant la reconnaissance des performances des matériaux réutilisés et réemployés », lesquels seraient élaborés avec les acteurs concernés que sont les maîtres d’ouvrage, les contrôleurs techniques, ou encore les assureurs. Pour séduire à l'idée de recycler, il faudra communiquer : rien de mieux que d'expliquer les choses afin de séduire à l'idée de... Dans cette logique, on mettra en place des outils afin de favoriser la compréhension de la réglementation applicable aux déchets, auprès des utilisateurs, des entreprises, des collectivités locales et du grand public. Ceci devant aider à simplifier la mise en œuvre de la réglementation. Le Gouvernement ayant confirmé par ailleurs que « les possibilités de réemploi des terres excavées et des matériaux issus de chantiers de BTP feront l’objet d’un attention particulière ».
Recycler, est une chose ; trouver et multiplier les exutoires et débouchés en découlent ; à défaut... c'est le coup d'épée dans l'eau. Aussi, le Gouvernement escompte se servir de la commande publique comme d'un levier, et en faire un exemple à suivre … ce qui sous-entend que l'économie circulaire devra être intégrée à la stratégie des acheteurs publics qui pourront user de plusieurs outils : charte d’achat public durable, abaissement du seuil à partir duquel le Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables est obligatoire, statistiques issues de l’observatoire de la commande publique… étant entendu qu'ils bénéficieront d'éléments sur le coût du cycle de vie pour les grands types d’achat reposant sur des méthodes intégrant les coûts directs et ceux imputés aux externalités environnementales, « par exemple en termes de gaz à effet de serre ». Les mesures prévues devront être opérationnelles avant 2022. Dans ce schéma conducteur, le numérique en qualité d'auxiliaire de travail, occupera une place de choix...
De grands chantiers ne sont pas incompatibles avec le zéro déchet
Alors que ces nouvelles conceptions de chantiers sont encore émergentes, elles peuvent sembler complexes à mettre en oeuvre ; pour démontrer que des chantiers d'importance peuvent être soignés, jusqu'au stade du tri et de la valorisation des déchets, Bouygues a souhaité apporter son témoignage : l'industriel du bâtiment, accompagné de ses partenaires Linkcity Nord-Est, Nodi et Neo-Eco, a initié fin 2017, un projet grandeur nature d’économie circulaire, innovant et d’envergure sur le futur quartier de la Maillerie, près de Lille.
Le quartier de La Maillerie sera construit en lieu et place de l’ancien site logistique des 3 Suisses, à l’issue d’une importante phase de déconstruction : une démarche inédite a été engagée pour en faire un chantier « Zéro déchet ».
Pour la plupart condamnés dans le cadre du nouveau projet urbain, les bâtiments existants ne représentent pas moins de 30 000 tonnes de béton à démolir, 10 000 m² de parquet en chêne, 4 500 luminaires et plusieurs kilomètres de rayonnages. Après un important travail d’identification et une dépose, une seconde vie a été organisée pour les matériaux : réutilisés sur place et/ou récupérés par des associations ou des industriels. Ce principe de diagnostic/inventaire anticipait donc les futures mesures gouvernementales en faveur du réemploi et de la valorisation des ressources et déchets de chantier, mais a persmi aussi de démontrer que c'est possible.
Cette démarche de déconstruction « intelligente » est inédite de par son envergure et le volume de matériaux revalorisés. Afin de l’optimiser, la règle des 3 R, stratégie bien connue en gestion des produits en fin de vie, a été appliquée :
Réduire la quantité de produits neufs construits.
« Le Compact », l'un des quatre bâtiments du site, sera conservé et adapté à son nouvel environnement. Situé à l’angle nord-est du quartier, avec des murs très épais, il sera reconverti en parking sur quatre niveaux avec des commerces en rez-de-chaussée et un jardin paysager en toiture.
Réutiliser l’ensemble ou une partie des matériaux plutôt que de les transformer en déchets.
Trois partenariats ont permis de concrétiser la réutilisation d’un grand volume de matériaux existants :
- Les parquets en chêne massif ont été repris par le fabricant leader de revêtements de sols Tarkett puis découpés en fines couches collées sur une âme en pin. Ces nouvelles lames seront réutilisées dans la Maison du projet ou revendues en tant que série limitée par le fabriquant.
- Le collectif roubaisien « Zerm », fondé par cinq jeunes diplômés de l'École d'architecture et de paysage de Villeneuve-d'Ascq, a récupéré poutres IPN, luminaires industriels et autres racks de stockage pour alimenter les stocks du « Parpaing », le premier « dépôt-vente » de matériaux de second œuvre destiné aux professionnels du bâtiment et aux particuliers. Cette ressourcerie d’un nouveau genre a été intégrée au planning de démolition pour permettre la récupération du plus grand nombre d’objets.
- L’atelier chantier d’insertion « Fibr’ & Co » a, quant à lui, réalisé des opérations de dépose de certains matériaux. Elle a notamment permis la confection de meubles, de gardes corps ou encore d’étagères, utilisés dans la Maison du projet.
Recycler les matières premières.
Le béton sera recyclé selon un processus complexe élaboré en partenariat avec Neo-Eco et l’École des Mines de Douai. En fonction de la granulométrie post concassage, le béton sera transformé en granulats 6/20 à forte valeur ajouté dans les nouveaux bétons du site (objectif de 9 500 tonnes de granulats), mais aussi réutilisé sous voiries, ou encore transformé comme matière première pour la fabrication de carrelages.
Et Thierry Michaud, Directeur Ingénierie de Bouygues Bâtiment Nord-Est, de conclure qu'en « réutilisant un maximum d’éléments disponibles sur le chantier de déconstruction, nous souhaitons inscrire la Maillerie dans un projet d’aménagement durable, mais également conserver un lien étroit avec l’histoire du site ».
Les professionnels n'ont pas fait fausse route
Si de très grandes entreprises démontrent que les chantiers propres sont possibles, d'autres démarches ont été mises en place telles que le projet Démoclés, orchestré de concert par des acteurs soucieux de traiter de manière performante, les déchets du second œuvre BTP, une initiative récente qui commence à porter ses fruits (voir Déchets du bâtiment : le second oeuvre passe au premier plan)
Et puis, il y a bien évidemment, des entreprises du recyclage qui ont ajouté cette activité à leur palmarès, comme c'est le cas du groupe Paprec : plusieurs sites en France et 500 000 tonnes traitées par an, certains chantiers pris en charge par le recycleur étant pour le moins emblématiques (voir Déchets de la Samaritaine : valorisés par Paprec au fil de l'eau).
D'autres entreprises telles qu'Ypréma, en ont fait leur cœur de métier de longue date, militant en faveur de l'écologie industrielle qui associe le recyclage et l'écoulement de produits de qualité :
Ypréma s'appuie sur un réseau de dix sites ICPE (dont la plupart sont installés en Ile de France, avec deux exceptions : Pluguffan, près de Quimper, pour le recyclage de matériaux de déconstruction, et à Reims pour le traitement et la valorisation de mâchefers), tous stratégiquement bien situés, c'est à dire non loin des centres-villes : Ypréma mise autant sur la qualité des produits sortants, que sur la double volonté de réduire au maximum les temps et coûts de transport pour ses clients, tout en fonctionnant en circuit court, le dirigeant sachant fort bien, par expérience qu'un matériau issu du milieu urbain sera réemployé sur des chantiers urbains... Le spécialiste du recyclage des déchets inertes fournit ainsi à lui seul, 15% des quantités recyclées en Île-de-France, qui sont utilisées sur des chantiers de construction d'importance : le Breton a fourni de la grave de béton concassé qui a servi à réaliser la sous-couche ferroviaire de la gare TGV Montparnasse, et celle du parvis du Stade de France, étant entendu qu'il est sur les rangs pour participer à la récupération et au recyclage d'une partie des déchets qui seront générés dans la cadre du Grand Paris Express : 43 mt de déblais de déconstruction de bâtiments, de dorages de tunnels et autres travaux, résulteront de ces grands travaux...
Proposer des produits de même qualité que les matériaux naturels fidélise une clientèle exigeante (et qui a bien raison de l'être, puisque cela favorise une belle image pour le recyclage) qui doit être assurée de travailler avec les meilleurs matériaux qui soient, tandis que les utilisateurs des infrastructures doivent bénéficier des mêmes garanties qu’avec des matériaux naturels. Telle a toujours été la philosophie de Claude Prigent ; au vu des décisions qui ont émaillé la politique mise en œuvre depuis quelques années (70% de recyclage pour les déchets du BTP, dans un proche avenir, miser sur la qualité pour assurer les débouchés, et puis, dernier épisode en date, la feuille de route sur l'économie circulaire), force est de constater que l'avenir a donné raison à la voie empruntée par Claude Prigent...
Au demeurant, des entreprises de recyclage de déchets du BTP ont rallié Federec, qui a créé une branche dédiée, il y a environ quatre ans : force est de constater que le travail ne manque pas.
Comme le souligne son président, Erwan Le Meur, l'un des sujets « prioritaires du moment concerne l'échange avec les distributeurs de matériaux de construction sur l'article 93 de la LTECV ». Entamé dès 2015, malgré le refus catégorique des professionnels de faire office de collecteurs de déchets (la décision du conseil constitutionnel validera cet article 93 début 2017), les travaux se sont poursuivis en collaboration avec la Fédération des Négoces de Bois et Matériaux de construction (FNBM) et sa Confédération du commerce de gros (CGI), afin de mettre sur pied un modèle de conventionnement de la part de Federec à ses adhérents.
La Fédération a également travaillé de concert avec la CAPEB, au sein d'un groupe bilatéral de travail, de sorte à échanger quant à la création d'un outil permettant une mise en valeur des artisans ayant de bonnes pratiques en terme de gestion de leurs déchets.
Outre la LTECV, le démarrage des travaux du Grand Paris Express, met clairement en évidence la nécessité de prendre les déchets du BTP en grande considération ; avec 43 millions de tonnes annoncées dont il faudra prévoir l'écoulement, le traitement et la valorisation, il y a de quoi faire. Federec, le SR BTP et la société du Grand Paris envisagent d'ailleurs la création d'un label à destination des plateformes de valorisation des terres du Grand Paris Express... En tout état de cause, l'ensemble des travaux en cours organisés par le syndicat a pour objectif de mettre en valeur les installations de recyclage « dans un contexte très concurrentiel où la valorisation en remblais de carrière est dominante »...
Même langage du côté du SR-BTP (créé peu après les préconisations du Grenelle de l’environnement -en 2007/2008- qui ont posé les fondements d’une société du recyclage autour de deux principes, diminuer les quantités de déchets produites et tendre vers plus de valorisation de la matière) : le syndicat met tout en oeuvre pour qu'il n'y aucun amalgame entre les entreprises qui bossent comme des pro, et d'autres, qui s'avèrent parfois un peu plus légères lorsqu'il s'agit de traiter leurs déchets... après avoir publié en 2014, un guide de conception et de fonctionnement des installations de traitement des déchets du BTP, il a édité un livre blanc à destination des acteurs de la filière des déchets du BTP, en 2015 : ce dernier vise à promouvoir la déconstruction, le pré-tri, le tri in situ et le recyclage, mais aussi à améliorer la valorisation des déchets du BTP, et puis à tendre vers l’économie circulaire (pour pallier la raréfaction des matières premières) et à avoir une vision sur la filière par le maillage du territoire.
Afin d'aller plus loin dans la démarche initiale, on rappellera également que le SR-BTP, le SNED, Federec Verre et BTP, et la Fédération Française des Professionnels du Verre se sont réunis et ont mis en place un projet commun de développement de la filière de recyclage du verre plat de déconstruction et de rénovation, via un Engagement pour la Croissance Verte (voir Verre plat : trop de stockage, pas assez de recyclage).
Dans un registre complémentaire, et pour renforcer les moyens d'actions, le SNED (fondé en 1980, le Syndicat National Entreprises Démolition, 130 entreprises membres, des petites et moyennes structures, des leaders nationaux et européens, toutes titulaires d’au moins une qualification professionnelle se rapportant à l’exercice de la déconstruction) et le SR-BTP devraient d'ailleurs annoncer, tout début juin, la création d’un nouveau syndicat résultant de la fusion de leurs deux structures. Cette nouvelle entité constituera une structure unique en France regroupant à la fois les entreprises spécialisées dans les opérations de déconstruction et désamiantage ainsi que les entreprises spécialisées dans le recyclage des déchets du BTP. Alors que l’économie circulaire devient une réalité pour de nombreuses professions, l’un des objectif de cette organisation professionnelle sera notamment de concourir à une meilleure valorisation des déchets issus de la déconstruction et des travaux du BTP.