Captage et stockage géologique du CO2 : questions d’avenir
Cette problématique suscite de nombreuses interrogations… auxquelles tentent de répondre, Olivier Appert, Président de l'Institut Français du Pétrole et Philippe Vesseron, Président du BRGM... Il y a un peu plus de deux ans, nous avions rencontré dans le cadre d’une conférence, ces deux spécialistes de la question qui occupe de très nombreux scientifiques, en France et ailleurs dans le monde (voir notre rédactionnel). Il nous a semblé qu’il était opportun de revenir sur ce sujet qui, en deux ans, a connu de nouveaux rebondissements et progrès…
En 2005, les émissions de CO2 en France s’élèvent à plus de 500 millions de tonnes. De 1960 à 2005, les émissions ont cru de 35% et de 1990 à 2005, seulement de 1%. Le secteur des transports n’a cessé d’augmenter ses émissions tandis que celui de l’énergie a fortement réduit sa part. Par rapport à 1990, les émissions ont augmenté de 6 millions de tonnes. En 2005, la répartition des émissions de CO2 était la suivante : les transports, 26% ; le résidentiel tertiaire, 23% ; l’industrie, 21% ; la transformation d’énergie, 13% ; l’agriculture et la sylviculture, 15% (source Citepa/inventaire Secten).
Y a-t-il des verrous technologiques au captage du CO2? Quels sont les pays et les organismes en pointe dans ce domaine ?
Les technologies pour extraire le CO2 des fumées de combustion existent. Les industriels s’y intéressent de près car même si les coûts restent aujourd’hui prohibitifs, ces technologies pourraient s’appliquer aux usines actuelles et être utilisées à grande échelle. Des solutions plus performantes sont à l’étude dans les laboratoires, tant en Europe (projet Castor) qu’aux Etats-Unis (DOE). Un débouché industriel pourrait être envisagé, pour certaines d’entre elles, à l’horizon 2010/2015.
S’agissant des nouveaux processus de combustion renforçant la concentration de CO2 (combustion à l’oxygène pur) envisagés dans le cas du remplacement des usines (en particulier des centrales à charbon européennes), la recherche et les laboratoires européens, notamment suédois et français, sont très en pointe. La technologie prometteuse de « chemical looping » utilisant un support métallique dans la production d’oxygène fait l’objet de toutes les attentions.
La troisième voie (la décarbonisation avant la combustion du combustible, en entrée d’installation, via la production d’hydrogène), est prometteuse mais c'est la plus futuriste. L’Europe et les Etats-Unis ont lancé deux programmes de recherche, sur 10 ans, et financés par plus de 1 milliard d’euros chacun.
Quelle durée de stockage envisage t-on pour réduire les émissions de CO2 ? 100, 1 000, 10 000 ans? Et pourquoi ?
La durée de stockage envisagée est comprise entre 500 et quelques milliers d’années. Il semble admis par la communauté scientifique qu’il faudra environ 500 ans pour espérer stabiliser la teneur de l’atmosphère en CO2 et mettre fin au recours aux énergies fossiles.
Il s’agit de couvrir non seulement la durée pendant laquelle les combustibles fossiles resteront disponibles (1 à 2 siècles) mais aussi la durée du rééquilibrage océan-atmosphère (environ un demi millénaire). En effet, il faut prendre en compte le cycle du carbone qui est régi par deux échanges avec la biosphère qui se font sur des échelles décennales alors que le cycle de l’océan s’étend sur plusieurs siècles. Une stabilisation des teneurs en CO2 dans l’atmosphère impose donc de conserver le CO2 dans le sous-sol sur des durées compatibles avec le cycle océanique. Par mesure de précaution, on envisage des solutions qui permettent d’effectuer le stockage sur des périodes pouvant atteindre un à deux milliers d’années.
A quelle échéance pourrait-on envisager une mise en œuvre industrielle du captage et du stockage du CO2 ?
En Norvège, Statoil stocke depuis 1996 un million de tonnes de CO2 par an, dans un aquifère sableux sous la Mer du Nord. Il s’agit de la première opération industrielle de stockage géologique à des fins environnementales. Depuis, plusieurs projets pilotes de captage et d’injection de CO2 ont été mis en œuvre. Il reste encore à faire la preuve de la faisabilité économique et technique à grande échelle de la filière.
A cette fin, on assiste aujourd’hui à un élan de recherche sans précédent. Les programmes de R&D sortent des laboratoires pour entrer dans une phase où les stratégies industrielles se mettent en place. Les projets d’installations pilotes ou de démonstration se multiplient, en Europe notamment, témoignant de la confiance des industriels dans cette technologie. Ils ont d’abord été initiés par les compagnies pétrolières et gazières qui se sont appuyées sur leur savoir-faire en matière de gestion et d’exploitation du sous-sol. Depuis quelques années les industries émettrices de CO2 et en particulier les électriciens, les rejoignent.
En Allemagne Vattenfall, EON et RWE ont des projets pilotes de centrales sans émissions de CO2.
Total en France met en oeuvre un projet pilote à Lacq.
Au Royaume Uni, BP lance aussi une première réalisation industrielle dans ce domaine.
Aux Etats-Unis, le projet FutureGen, lancé avec des partenaires industriels, prévoit la construction d’une centrale de production d’hydrogène à partir de charbon, avec l’utilisation des technologies de captage/stockage.
Outre la production d’énergie, la filière intéresse aussi d’autres industriels dans la sidérurgie, la production de ciments ou le traitement des déchets. Parallèlement à cela, les actions pour constituer un cadre juridique et informer l’opinion publique sont en marche. Dans ce contexte, le captage et le stockage du CO2 pourraient se développer, à une échelle industrielle, d’ici 10 à 15 ans.
La plateforme technologique européenne Zero Emission Fossil Fuel Power Plants (ZEP), qui a pour objectif d’amener les centrales thermiques à une émission nulle de CO2 à l’horizon 2020, a établi un plan de déploiement ambitieux de la filière captage, transport et stockage du CO2 (CCS):
Engager dès 2007, tant avec le public que les pouvoirs publics, une campagne d’information
Etablir en 2007/2008 un cadre légal et réglementaire incluant la reconnaissance des activités de CCS dans la directive européenne de négoce des émissions de CO2 ainsi que dans les mécanismes liés au protocole de Kyoto
Définir en 2007, une dizaine d’emplacements potentiels de stockage et promouvoir leurs mécanismes de financement
Envisager une douzaine d’opérations de captage et une demi douzaine de sites de stockage d’ici 2015, chaque site ayant une capacité minimale de 2 millions de tonnes de CO2
Planifier d’ici 2010 la construction des infrastructures de transport de CO2 (pipelines) au niveau européen.
Va-t-on pouvoir injecter le gaz, là où il est produit, en grosses quantités ?
Tout dépend du type de stockage envisagé. Les lieux de stockage les plus connus et les mieux maîtrisés sont actuellement les gisements de pétrole et de gaz déplétés ou en phase de déclin. Leur potentiel à l’échelle mondiale se situe entre 560 et 1 170 Gt CO2. Mais ces stockages potentiels sont très inégalement répartis sur la planète et, généralement, ils ne sont pas situés dans les régions où les émissions, et donc le potentiel de captage, sont les plus grands. L’utilisation massive de ces lieux de stockage impliquerait, donc, de transporter le CO2 sur de très longues distances et en grande quantité : par exemple, pour la seule production d’électricité, le captage du CO2 pourrait représenter en 2050 un volume de gaz à transporter 5 fois supérieur à celui du gaz naturel transporté actuellement.
L’intérêt d’étudier les autres lieux de stockage comme les aquifères profonds et les veines de charbon inexploitables, est donc important. Ces derniers sont mieux répartis sur la planète, mais leur potentiel réel est encore mal connu.
Comment transporter le CO2 sur de longues distances ? Existe-t-il une installation en Europe et quelle est la situation de la France ?
Compte tenu des volumes et des distances, deux types de transport sont possibles à grande échelle : le bateau (le CO2 est transporté en phase liquide, en pression modérée et à basse température) et par canalisation terrestre et maritime (le CO2 est sous pression à l’état super critique ; une solution de transport à l’état liquide, plus économique, est à l’étude).
Si le transport par gazoduc ou navire ne pose pas de problème technique (sauf à maîtriser les impuretés produites par les différents procédés de captage). Il reste à construire et gérer un véritable réseau permettant de l’acheminer en toute sécurité depuis les lieux d’émissions jusqu’aux sites de stockage.
Dans le cadre du projet européen Castor, le plus grand pilote mondial de captage post combustion a démarré début 2006, au Danemark, sur une centrale à charbon (opérateur : compagnie Elsam) ; il offre une capacité de captage d’une tonne de CO2 à l’heure.
On envisage, en effet, de constituer un site pilote dans notre pays, en aquifère profond, dans le bassin parisien où l’on trouve des couches géologiques susceptibles de piéger le CO2 (qui passe de l’état gazeux à l’état supercritique à 800 m de profondeur) : les carbonates du Dogger (1 400 à 2 200 mètres de profondeur) et les grès du Trias (1 500 à 3 000 mètres de profondeur), et à une échéance comprise entre 2009 et 2011. Par ailleurs, Total lance un projet intégré de captage et stockage du CO2 dans un ancien réservoir de gaz naturel du bassin de Lacq (près de Bordeaux) qui démarrera fin 2008.
La Convention de Londres sur l’interdiction d’immersion des déchets est-elle un frein au stockage géologique sous les fonds marins ?
Le stockage dans le sous-sol marin est régi par deux textes internationaux : la Convention de Londres en 1972 et son Protocole en 1996 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et la Convention Ospar pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est. Le but initial de ces conventions était de protéger l’écosystème marin d’éventuelles pollutions, mais elles n’envisageaient pas encore à l’époque le recours au stockage du CO2 comme moyen de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En 2006, à la suite d’une large consultation, le Protocole de Londres a été amendé sur ce point : le texte permet maintenant l’injection du CO2 sous le fond de la mer, sous certaines conditions de mise en œuvre. Lors de sa réunion d’Ostende en juin dernier, la Convention Ospar vient d’en faire autant.
Quel est le coût de cette filière ? Peut-elle être rentable ?
Les technologies de transport du CO2 par pipeline et d’injection en profondeur dans des couches géologiques sont opérationnelles à des coûts raisonnables. En revanche, les techniques de captage existantes sont relativement onéreuses. Le coût de la filière complète (captage/transport/stockage) est actuellement évalué à 60 euros en moyenne la tonne de CO2 évitée, dont 85% pour le seul captage, qui intègre le prix de la séparation du gaz carbonique et sa compression.
Les solutions envisagées pour réduire les coûts sont l’amélioration des techniques de captage existantes et le développement de technologies innovantes mais aussi une intégration énergétique poussée au niveau des procédés et la standardisation des méthodes mises en œuvre.
L’objectif à terme est d’atteindre des coûts de l’ordre de 20 à 30 € la tonne de CO2. A titre de comparaison, dans un marché européen d’échange de quotas d’émissions de CO2, les industriels dépassant leurs quotas d’émissions doivent payer une amende non libératoire de 40 €/tonne de CO2. Elle devrait passer à 100 euros à partir de 2008 !