CO2 : les risques de stockage sont encore méconnus
Dans le cadre de son programme de recherche Evariste sur la filière CSC (Captage et Stockage du CO2), l’Ineris vient de publier une étude qui identifie et modélise les risques liés au stockage du dioxyde de carbone dans les aquifères salins profonds, notamment sur la question encore mal connue des impuretés associées au CO2. "Les résultats de cette recherche exploratoire ne permettant pas d’exclure un risque lié aux impuretés, il apparaît nécessaire de poursuivre les recherches", indique l'Institut. Les conclusions font notamment ressortir la nécessité de collecter des données sur le retour d’expérience et l’accidentologie. Les caractéristiques du réservoir de stockage doivent également être analysées avec soin et des barrières de sécurité être envisagées dès la conception du projet, en préalable à toute décision sur le stockage...
L’étude qui vient d'être publiée s’appuie sur une méthodologie d’analyse globale des risques adaptée à la filière CSC. La méthodologie développée par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) concourt à un objectif avant de pouvoir envisager l’autorisation de recourir à cette technologie sur un site : examiner si la filière s’avère une solution viable. A partir de cette méthodologie appliquée à la sécurité du stockage en aquifère salin profond, l’Institut s’est attaché à étudier une question encore peu abordée, le rôle des impuretés associées au CO2. Ses experts ont d’abord inventorié les fluides présents dans le réservoir ; 6 scénarios de migration des fluides ont ensuite été définis ainsi que leurs effets potentiels sur l’homme et l’environnement. Ces modèles théoriques, choisis parmi les scénarios les plus vraisemblables et les modèles les plus impactants, n’ont à ce stade pas été éprouvés expérimentalement.
3 principales conclusions ont été dégagées au regard de la question des impuretés associées au CO2 :
Afin de contribuer à la sécurité de la filière CSC, il est capital de mieux connaître les concentrations d’impuretés injectées avec le CO2. Plus généralement, il est crucial, compte tenu de l’absence de données, de pouvoir bénéficier du retour d’expérience et de recueillir des informations sur tous les types d’incidents rencontrés.
Préalablement à toute autre démarche, les critères de choix des sites de stockage doivent être définis avec une attention particulière (structure géologique ; conditions tectoniques ; propriétés mécaniques et géochimiques du réservoir ; perméabilité, hétérogénéité, épaisseur et nature de la couverture).
Il est indispensable, si la solution du CSC était retenue pour réduire les émissions de GES, de prévoir un dispositif complet de mesures de maîtrise des risques (barrières de sécurité), et ce dès le stade de la conception, pour limiter les perturbations mécaniques, hydrauliques et chimiques (par exemple, limitation des impuretés en phase de captage) et assurer le confinement des fluides (contrôle des vannes de sécurité, de l’intégrité de la couverture du réservoir ou détection des fuites en phase d’exploitation ; stratégie de sécurisation des puits avant abandon...).
2 points sont apparus essentiels : la méthodologie doit envisager les risques à tous les maillons de la chaîne du CSC (captage, transport, injection, stockage) et considérer plusieurs échelles de temps (de la phase de conception / exploitation jusqu’au stockage à long terme, sur au moins un millier d’années). 3 types de substances annexes, potentiellement toxiques, ont été identifiés : les impuretés primaires injectées avec le CO2 lors de la phase de captage (gaz comme le SO2, H2S, NOx, particules comme les HAP et les COV, métaux lourds...) ; les gaz présents dans le sous-sol (méthane, H2S...) et chassés par le CO2 lors de l’injection ; les impuretés secondaires issues de la perturbation de l’équilibre géochimique créée par l’injection du CO2 à l’état supercritique dans l’aquifère (processus d’acidification de la saumure et de complexation, qui rend solubles les éléments traces métalliques et les micropolluants organiques).
6 scénarios de fuite ont ensuite été choisis parmi les plus plausibles : 3 en conditions normales et 3 en conditions "altérées", c'est-à-dire où les paramètres de stockage ne correspondent pas aux paramètres envisagés lors de la conception du projet. En conditions normales, ont été analysées : une fuite ponctuelle de CO2 le long d’un puits (d’injection ou de surveillance) après son abandon et colmatage ; des fuites diffuses de CO2 à travers la couverture de l’aquifère ; des rejets ponctuels de saumure effectués pour réduire la surpression dans le réservoir due à l’injection. En conditions altérées, l’étude a porté sur : une fuite ponctuelle de CO2 par un puits mal colmaté extérieur au stockage (puits pétrolier, forage géothermique...) ; une fuite ponctuelle de CO2 par une faille initialement non identifiée (éloignée du puits injecteur) ; des fuites de saumure polluée (par un puits extracteur, un puits abandonné ou une faille).
Concernant l’impact sanitaire des impuretés associées au CO2, la toxicité de certaines substances organiques ou de métaux potentiellement présents dans les impuretés primaires ou secondaires a été étudiée, en considérant 2 voies d’exposition (ingestion d’eau ou inhalation). Les données sur les concentrations d’impuretés en situation réelle ne sont cependant pas, à ce jour, disponibles : l’étude s’est donc appuyée sur des hypothèses qui majorent le risque pour l’homme et l’environnement et dont la représentativité sur le terrain n’a pour l’instant pas été vérifiée (prise en compte uniquement des valeurs maximales de concentration constatées dans des rejets industriels ; hypothèse selon laquelle la couverture géologique du réservoir ne joue aucun rôle d’absorption ou de filtration des substances).
Parmi les scénarios étudiés, la fuite le long du puits d’injection est la plus probable mais semble représenter un impact sanitaire faible. Des fuites de CO2 par une faille pourraient entraîner la contamination d’un aquifère d’eau douce dans des conditions spécifiques (surpression importante sur une longue durée, largeur de faille importante, teneur en impuretés injectées forte et qui ne diminue pas lors de la migration vers la surface à travers les roches argileuses de la couverture). La fuite massive par un puits mal colmaté extérieur au stockage est le scénario qui aurait le plus d’impact mais il est fort peu probable. Plus généralement, la présence de failles, tout comme l’état des puits, constituent des paramètres très importants à surveiller, notamment au regard des populations ou de l’environnement susceptibles d’être exposés (habitations, nappes souterraines ou écosystèmes sensibles). "Concernant la nature des substances, les impuretés les plus préoccupantes semblent être le plomb, le nickel, le mercure pour la contamination de l’eau et les composés chlorés pour l’exposition par inhalation", précise l'Ineris.