Comment déterminer les responsabilités de la dépollution ?
Maître Christian Huglo, spécialiste reconnu dans les questions de responsabilités environnementales, est rompu à ce genre de problèmatique... Il a assuré la défense de causes importantes...
L'absence de cohérence dans les réglementations qui concernent les sols pollués protège-t-elle le pollueur ou aggrave-t-elle l'amplitude de son exposition au risque en termes de responsabilité ?
Tel est le thème qu'il a abordé lors d'une réunion de travail organisée récemment par les Eco-Maires et Sita..
La question qui se pose est de savoir si les réglementations sont efficaces...
Le terme de réglementation est juste parce qu'il n'existe pas de droit sur lé dépollution des sols mais de nombreuses réglementations.
Par ailleurs, quand l'administration s'est vu obligée d'inventer une réglementation sur la pollution des sols, elle a dû le faire par voie de circulaires, ce qui a représenté une tâche immense, très difficile par ailleurs. En effet, elle a dû imaginer l'application d'une modification des situations existantes par voie d'une politique du ministère de l'Environnement par circulaires avec la difficulté de régir ainsi des situations passées, donc de façon rétroactive. Des difficultés juridiques évidentes sont automatiquement apparues dès lors que le législateur ne s'était pas saisi du problème.
Il faut aussi dire que l'une des grandes difficultés du sujet réside dans l'absence de droit international et de droit européen en la matière. Or, le droit international et de droit communautaire sont en général nos inspirateurs.
Autrement, dit, en France, nous ne sommes pas épaulés par un droit supérieur au droit interne.
Le problème est sérieux.
La communication de la Commission européenne du 16 avril 2002 sur les sols pollués qui définit la politique, indique un élément effrayant: dans les pays de l'Union, 16% des sols ne sont, actuellement, pas en état. Dans les pays en voie d'adhésion, ce chiffre passe à 35%. L'Europe est riche de 462 types de sols différents et nous avons besoin d'espace. Dans le droit de l'environnement, un sujet a été découvert, mais il a été abordé timidement.
Nous disposons de trois réglementations qui se superposent et ne s'épaulent pas...
La première réglementation est la moins utilisée : l'article 18 de la loi sur l'eau qui est codifié au code de l'Environnement. Il stipule que le maire et le préfet peuvent intervenir auprès de l'exploitant ou du propriétaire d'une installation qui sert à extraire une pollution.
J'insiste sur le terme de propriétaire qui est employé dans la loi. Cette loi ne s'applique qu'aux installations qui sont dans la nomenclature de la loi sur l'eau, c'est à dire que ce n'est qu'une partie infime de la réglementation et qui ne s'applique que lorsque vous possédez ou gérez une opération d'assainissement ou une station d'épuration loi sur l'eau. Cette disposition est donc efficace, mais son champ d'application est très restreint. Elle n'est jamais appliquée par le juge.
La deuxième loi est peu appliquée depuis un arrêt du Conseil d'Etat de 1998, l'arrêt Geiger. Elle donne le pouvoir au maire et au préfet de prendre des dispositions pour éliminer des déchets aux frais du responsable.
Reste à définir le responsable...
Est-ce le propriétaire du terrain, le détenteur ou le producteur de déchets ?
Cette loi déchets, qui rassemble d'ailleurs plus à une réglementation présente également un inconvénient : elle ne permet que d'éliminer les déchets et n'impose pas de réhabiliter le site.
L'administration fait donc le plus souvent appel à la loi relative aux installations classées. Vous la connaissez. Elle cadre un certain nombre d'activités qui sont sous le contrôle de la puissance publique parce que dangereuses pour l'environnement. Cette loi ancienne, positive et très utile nous est enviée par l'Europe. Elle est d'ailleurs à la base de la directive IPPC. Néanmoins, elle présente aussi des désavantages.
D'abord, elle ne vise que l'exploitant, celui qui opère le site. Mais qui est l'exploitant ?
Le financier ?
Le propriétaire du terrain qui est le destinataire des autorisations administratives ? C'est par exemple le cas en matière de CET où le propriétaire est visé comme responsable par les dispositions de l'article 7-5 de la loi de 1992.
L'exploitant est donc celui qui opère, ce qui pose deux problèmes.
En premier lieu, comment retrouver l'exploitant quand celui-ci s'en va ?
En second lieu, est-il solvable ?
La nouvelle loi (voir notre rédactionnel en rubrique juridique) comporte des dispositions plus positives pour garder la trace de l'exploitant au moment de la création de l'exploitation et durant sa vie.
Je ne veux pas développer cette question.
La première carence est donc partiellement palliée.
Autre inconvénient, la loi sur les installations classées prévoit la neutralité, c'est à dire le fait que la pollution ne fasse pas de mal. Il s'agit donc d'une loi négative.
Du point de vue de l'efficacité des instruments juridiques, le régime appliqué va être totalement différent selon les cas et le traitement de la pollution ne sera pas la même. Ne faut-il pas réfléchir à un seul et même traitement pour un seul et même sujet.
Par ailleurs, je note beaucoup trop de contradictions dans les décisions du juge, du fait du trop grand nombre de réglementations.
Par exemple, en matière administrative, s'agissant de la notion détenteur d'un site pollué, certaines cours d'appel sont partisanes de l'extension du détenteur (Douai, Lyon), contrairement aux autres selon lesquelles le propriétaire ne peut en aucun cas être le pollueur parce qu'il n'est pas l'opérateur. C'est la position du Conseil d'Etat. Des décisions sur la garde des déchets sont aussi très contradictoires. Le juge pénal, lui, ne rend pratiquement pas de décisions.
Nous nous trouvons face à une mosaïque et chacun fait ce qu'il peut avec sa bonne volonté et en essayant de dépasser le manque d'unité du droit.
Pouvez-vous pour illustrer votre propos, nous citer quelques exemples concrets ?
Le cas le plus intéressant auquel j'ai eu affaire ces dernières années est la construction d'une usine dans un milieu pollué en nous rapprochant de l'auteur de la pollution, une grande société pétrolière. Une raffinerie avait été bombardé dans la Nord. Au lieu d'un procès, nous nous sommes rencontrés entre avocats, nous avons choisi deux cabinets dont Atéa, nous avons sollicité l'administration et nous avons monté un projet pour essayer de résoudre le problème.
Je m'occupe de nombreuses autres affaires (Charente, Toulouse, etc.). Je n'aime pas les citer. Elles sont soumises à la justice, mais, à chaque fois, nous déclenchons des expertises au tribunal administratif et nous réunissons tous les acteurs (préfet, maire, administration, usagers...) pour dégager une solution concertée et non pas autoritaire. En général, cette procédure fonctionne bien.
Pouvez vous nous dire quelles modifications réglementaires ou législatives considérez vous aujourd'hui indispensables par rapport au constat que vous venez de faire ?
J'ai passé une bonne partie de ma vie à étudier le droit de l'environnement et j'ai essayé de comprendre son mode de fonctionnement. Je me suis rendu compte que, pour que le droit de l'environnement soit efficace il doit toujours aborder un problème sous deux angles.
Si vous voulez protéger l'air c'est ce que font notre code de l'environnement et la loi sur l'air, vous devez énoncer que la ressource de l'air mérite d'être protégée et également attaquer la pollution de l'air. Ce sont deux sujets complémentaires. Vous devez considérer la valeur environnement comme une richesse et réprimer ou prévenir les atteintes à cette richesse. C'est ce que j'enseigne à mes étudiants. Autrement dit, le droit de l'environnement est toujours un droit de protection de la ressource et un droit de lutte contre les pollutions.
Vous remarquerez que nous n'avons pratiquement pas de définition de la qualité du sol, ce qui pose problème. Un seul texte y fait référence : la convention alpine de 1992. Cette convention internationale définit les sols et leurs usages. Elle sert de référence aux juristes, mais elle est malheureusement très limitée à la protection des Alpes. Une définition de la protection de sols est nécessaire.
Je ne partage pas la conception du droit de la protection des sols qui consiste à gérer la pollution en fonction du danger.
Dans l'affaire Metaleurop, un arrêt de la cour de Cassation a été rendu le 3 février 1993. Des agriculteurs installés à proximité de l'entreprise se plaignaient d'une forte pollution. Les juges ont pu intervenir de façon forte et précise pour ces agriculteurs, en particulier parce que la décision de la cour de cassation vise les normes relatives à la production des végétaux. Ils n'ont pas hésité pour savoir si un danger existait.
En matière de site pollué, des études de danger, des études de risque, de circulaires du Ministère de la Santé sont disponibles, mais le problème est résolu uniquement de façon temporaire, ce qui signifie que, d'une certaine façon, des résurgences sont possibles. L'administration en est d'ailleurs bien consciente puisqu'elle ne donne jamais de quitus sur un site pollué. Or, il nous faut quand même une certaine sécurité juridique.
Il existe des normes en matière de protection de l'alimentation ou en matière de protection des végétaux mais pas pour les terrains industriels. Ces sujets méritent que nous y travaillions pour définir des normes. C'est la ressource qu'il faut protéger parce que nous souhaitons conserver les 462 espèces de sols inventoriés en Europe.
La reconquête des friches industrielles dans les zones périurbaines est souvent évoquée. Les élus sont démunis face à ce problème.
Comment peuvent-ils se prémunir concrètement contre les recours en cas d'acquisition ou de cession de terrains ?
J'ai envie de répondre par un jeu de mots : c'est bien parce que le droit des friches industrielles est en friche qu'il ne fonctionne pas !
Il est très important pour les élus de comprendre qu'ils disposent d'outils : les plans d'occupation de sols, les PLU et les permis de construire qui prennent en considération la pollution. Je pense que lorsqu'une commune veut reconquérir un territoire, elle doit le faire en concertation avec l'administration et les personnes. J'ai déjà été confronté à cette situation, par exemple avec l'administration de l'Ile de France. Si vous souhaitez faire changer le POS, délivrer un permis de construire de façon autoritaire est chose risquée car il sera attaquable.
Je crois qu'il faut d'abord nettoyer la pollution et déterminer la nature du problème sans complaisance. Il n'y a pas de raison pour que l'investisseur ne finance pas correctement la dépollution. Mon expérience en région parisienne m'a montré que les préfectures sont extrêmement exigeantes et que tous les acteurs jouent le jeu pour trouver une solution concertée. Quand nous sommes obligés de laisser la pollution, nous laissons des hypothèques ; quelquefois, l'administration, quand elle le juge nécessaire, prend des servitudes administratives.
Nous disposons d'instruments pour dégager le problème, mais il ne faut pas le faire de façon autoritaire.
En cas d'échec de la concertation, il faut alors lancer une expertise au tribunal administratif.