Composites : les métaux ont de la concurrence !
Planches à voile, avions et circuits électroniques ont tous en commun de contenir des résines utilisées pour leur légèreté et leur résistance. Mais, une fois durcies, celles-ci ne peuvent plus être refaçonnées. Seuls quelques composés minéraux, comme le verre, offraient pour l'instant cette possibilité. Associer ces atouts dans un même matériau semblait irréalisable, jusqu'à ce que l'équipe de Ludwik Leibler, chercheur CNRS au laboratoire "Matière molle et chimie" (CNRS/ESPCI ParisTech), conçoive une nouvelle classe de composés capable de ce tour de force. Réparable et recyclable, ce matériau inédit est façonnable, de manière réversible et à volonté, à haute température. Il conserve également certaines propriétés propres aux résines organiques ou aux caoutchoucs : il est léger, insoluble et difficilement cassable. Peu coûteux et facile à fabriquer, il pourrait intervenir dans de nombreuses applications industrielles...
Remplacer des métaux par des matériaux plus légers mais aussi performants est une nécessité pour de nombreuses industries, comme l'aéronautique, l'automobile, le bâtiment, l'électronique et l'industrie du sport. De par leurs exceptionnelles propriétés de résistance mécanique, thermique et chimique, les matériaux composites à base de résines thermodurcissables sont pour l'instant les plus à même de remplir ce rôle. Mais il est nécessaire de cuire ces résines sur place, avec d'emblée la forme définitive de la pièce à réaliser. En effet, une fois ces résines durcies, le soudage et la réparation deviennent impossibles. De plus, même à chaud, il est inimaginable de refaçonner une pièce à la manière du forgeron ou du verrier.
En effet, le verre (silice inorganique) est une matière unique : une fois chauffé, il passe d'un état solide à un état liquide de façon très progressive (transition vitreuse), ce qui permet de le façonner à volonté sans avoir recours à des moules. Parvenir à concevoir des matériaux très résistants qui puissent se réparer et être malléables à l'infini, tout comme le verre, est un véritable enjeu à la fois économique et écologique. Il faudrait un matériau capable de s'écouler à chaud tout en étant insoluble et qui n'aurait ni la fragilité, ni la "lourdeur" du verre.
Partant d'ingrédients disponibles et utilisés dans l'industrie (résine époxy, durcisseurs, catalyseurs...), les chercheurs du laboratoire "Matière molle et chimie" (CNRS/ESPCI ParisTech) ont créé un nouveau matériau organique constitué d'un réseau moléculaire aux propriétés inédites : ce réseau est capable, sous l'action de la chaleur, de se réorganiser sans changer le nombre de liens entre les atomes. Ce matériau inédit passe de l'état liquide à l'état solide ou inversement, comme le verre. Jusqu'à présent, seule la silice et quelques composés minéraux étaient connus pour ce type de comportement. Ce nouveau matériau s'apparente donc à de la silice complètement organique. Il est insoluble même à chaud au-dessus de sa température de transition vitreuse.
A température ambiante, il ressemble, selon la composition choisie, à des solides durs ou bien à des solides élastiques mous. Dans les 2 cas, il présente les mêmes qualités de légèreté, résistance et insolubilité que les résines thermodurcissables ou les caoutchoucs actuellement utilisés en industrie. Surtout, par rapport à ces derniers, il offre l'avantage d'être façonnable à volonté, réparable et recyclable sous l'action de la chaleur. Cette propriété permet de lui faire subir des transformations par des procédés qui ne sont envisageables ni pour les résines thermodurcissables, ni pour les matières plastiques classiques. Elle permet notamment d'obtenir des formes d'objets qui sont difficiles ou impossibles à obtenir par moulage ou pour lesquels la réalisation d'un moule s'avère trop coûteuse pour la fabrication envisagée.
Utilisé comme base de composites, ce nouveau matériau pourrait ainsi favorablement concurrencer les métaux et trouver de larges applications dans des secteurs aussi divers que l'électronique, l'automobile, la construction, l'aéronautique ou l'imprimerie. Au-delà de ces applications, ces résultats apportent un éclairage inattendu sur une problématique fondamentale : la physique de la transition vitreuse.
Cet article est à lire en complément de notre précédente dépêche : Composites et métaux : la guerre pourrait faire rage.