Déchets d’élevage : focus sur le recyclage du phosphore
Le phosphore, produit de l’exploitation des gisements de phosphate, est un élément indispensable à la vie. En agriculture, il est utilisé sous forme minérale pour optimiser la croissance des plantes ou des animaux d’élevage. Cependant, mal assimilé ou épandu en excès, il se retrouve en quantité dans l’environnement, entraîné par l’érosion et/ou le ruissellement. Dans les zones de culture ou d’élevage intensif, plus de la moitié du phosphore des cours d’eau aurait pour origine de telles pollutions diffuses. A cela s’ajoute les rejets, via les eaux usées, de phosphore provenant de l’utilisation des détergents. Les excès de ce minéral entraînent une eutrophisation des cours d’eau et le développement de certaines bactéries, responsables de la dégradation de la qualité de l’eau, compromettant ainsi la pêche, la pisciculture, la baignade et la consommation...
La réglementation sur l’épandage de produits phosphorés incite aujourd’hui les agriculteurs à réduire les apports de fertilisants. Problème : dans les zones d’élevage intensif comme en Bretagne, la quantité de phosphore (et d’azote), produite via des déjections animales et utilisable comme fertilisant, s’avère supérieure au besoin réel des cultures. Comment traiter alors le lisier, récupérer le phosphore sous forme exportable en dehors des zones d’élevage intensif et, ainsi, limiter les pollutions ?
Au Cemagref, des scientifiques travaillent au développement de procédés de recyclage du phosphore, qu’il soit issu des stations d’épuration des eaux usées ou des effluents agricoles, sous une forme directement substituable à l’utilisation d’engrais minéraux phosphatés. Une équipe étudie en particulier les différentes formes de phosphore contenu dans les effluents d’élevage, leur évolution au cours des traitements. Entre 60 et 80% de ce phosphore se présente sous forme minérale particulaire qui sédimente avec la matière organique. L’équipe a ainsi conçu un procédé qui permet de séparer le phosphore de la matière organique à laquelle il est associé dans les effluents. Il repose sur 4 étapes clés :
la dissolution du phosphore par l’acide formique, ce qui permet de le récupérer dans la phase liquide ;
la séparation de la phase solide et de la phase liquide contenant le phosphore ;
la précipitation chimique par ajout de magnésie pour provoquer la cristallisation du phosphore ;
la filtration pour le récupérer sous forme minérale, utilisable comme engrais.
L’objectif est d’obtenir les cristaux les plus gros, plus faciles à filtrer et à sécher
L’optimisation de ce procédé passe par l’amélioration de l’étape de séparation, effectuée avant l’étape de précipitation. Dans le cas d’une décantation simple, seulementy 50% du phosphore peut être recyclé mais les cristaux formés sont suffisamment gros pour être retenus par le filtre. Une autre technique, faisant appel à l’ajout d’un polymère complétée d’une phase d’égouttage avant la précipitation, conduit à la récupération de 80% du phosphore, cette fois sous la forme de cristaux de petite taille, difficiles à retenir sur le filtre. Les chercheurs poursuivent aujourd’hui l’optimisation de cette phase essentielle de cristallisation, afin de déterminer les meilleures conditions de croissance des cristaux et d’obtenir un meilleur rendement de recyclage.
Dans l’état actuel des connaissances, le recyclage du phosphore ne peut s’affranchir de l’étape de dissolution acide, dont le coût élevé constitue le principal verrou économique au développement de ce procédé de recyclage. Les études menées au Cemagref, en collaboration avec l’université européenne de Bretagne sur ces aspects économiques, révèlent en effet le caractère peu compétitif du prix de l’engrais recyclé par rapport à celui des engrais chimiques importés. Cependant, cette tendance devrait s’inverser dans les prochaines décennies, avec l’augmentation du prix des engrais, liée à l’épuisement progressif des gisements de phosphate existants et à l’augmentation concomitante des coûts d’exploitation de ce minéral. Bien que les études divergent quant à l’échéance de la pénurie de phosphore, il se pourrait que les réserves encore exploitables aujourd’hui soient épuisées d’ici une centaine d’année.
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