Déchets d’emballages : la Cour des Comptes lance une bombe

Le 03/02/2014 à 11:39  
Déchets d’emballages : la Cour des Comptes lance une bombe
Et ça fait boom ! Il est rare que les travaux de la Cour des Comptes fassent aussi vite polémique ! C’est pourtant le cas du rapport émis au sujet de la gestion des déchets d’emballages par l’éco-organisme qui en a la charge, au grand damne des collectivités locales, dont on sait qu’elles ne sont pas souvent d’accord avec la façon qu’a Eco-Emballages (souvent considéré comme un Harpagon des temps modernes), de gérer les pépettes et de sortir la calculette au moment de faire les comptes… La Cour des sages donne quitus ou presque à l’éco-organisme, tandis qu’elle aurait tendance à tacler les collectivités locales, lesquelles n’auraient guère été auditées avant qu’on ne se mette à la rédaction du document. Inutile de dire que le rapport n’est pas du goût de tout le monde…

  La Cour des Comptes aurait voulu jeter de l’huile sur le feu qu’elle ne s’y serait pas prise autrement.
Son travail au sujet de la gestion des déchets d’emballages par Eco-Emballages donne en effet, quelques sueurs aux collectivités membres de l’association Amorce, laquelle organisait sa journée annuelle sur les REP, aujourd’hui même, ainsi qu’une petite conférence de presse afin de livrer quelques arguments justifiant le courroux ambiant… parce que figurez-vous que ce travail irait à contre-courant des analyses actuelles des filières à responsabilité élargie du producteur (REP), lesquelles se montrent partisanes de réformes d’importance…

Sans compter que la diffusion du document (24 janvier) « tomberait » pile poil à quelques jours d'importants arbitrages gouvernementaux attendus depuis plus d’un an par les collectivités (concernant l’application de la clause de revoyure prévue lors du ré-agrément de l’éco-organisme, il y a trois ans). En ligne de mire, l'augmentation ou pas, du soutien financier apporté par Eco-Emballages aux collectivités locales pour la gestion des déchets d'emballages.
Hasard ou organisation judicieuse ? Telle est la question posée par Amorce.
Si l’éco-organisme a de quoi jubiler, parce que soulagées, les collectivités qui y voient une mise en cause de la gestion des déchets par elles-mêmes … grincent des dents, évidemment !

Remis en premier lieu au ministère de l’Ecologie, le document reconnaît que l’objectif d’un taux de 75 % de recyclage des déchets ménagers est hors d’atteinte pour 2016, mais estime que le dispositif mis en place en 1993 a atteint une large part des objectifs fixés alors. Dans ce contexte, le rapport propose « de ne prévoir aucune enveloppe financière nouvelle au titre de la clause de revoyure », mais plutôt de « veiller strictement à la corrélation entre l'augmentation des soutiens versés aux collectivités (…) et l'atteinte de l'objectif de 75 % en matière de recyclage ».
Aïe! A ce stade, ça coince le gosier des collectivités !!!
« Il faudrait revaloriser les aides octroyées par Eco-Emballages, du seul fait que le ministère a validé les remarques faites part les collectivités ; or, rien ne se passe et cela fait maintenant un an que nous attendons l’application de cette clause », explique aussi, le président de l’association.
Pour faire court, Amorce se dit « profondément choquée » ; selon elle, en effet, le « rapport de la Cour est à charge pour les collectivités, partial et partiel ». Contestant certaines modalités de calcul d’Eco-Emballages, elle estime « que les coûts réels de la gestion de la collecte sont sous-évalués. Le manque à gagner se situe entre 80 millions et 200 millions d’euros par an » (…) « Il faut garder à l’esprit que la gestion des déchets d’emballages, c’est 1,3 milliards d’euros par an. 80% des coûts doivent être couverts par l’éco-organisme au titre des engagements du Grenelle. Faites le compte ! »

« C'est une tentative de déstabilisation », fustige le président d’Amorce, Gilles Vincent. A l'issue du contrôle conduit entre novembre 2012 et juillet 2013, portant sur les exercices 2007 à 2012, la Cour délivre, selon Amorce, une sorte de blanc-seing accordé à l'éco-organisme représentant la grande consommation, la grande distribution, l'industrie agro-alimentaire via la manière de prendre en charge des déchets d'emballages mis sur le marché. Elle critique l'idée d'une augmentation significative des prélèvements sur les entreprises (et donc les consommateurs), qui ne se serait pas accompagnée d'une hausse du tri. Plus avant, elle met en cause, le dispositif lui-même « qui fait peser sur les éco-organismes des obligations dont la réalisation dépend très largement de tiers (comprendre, les collectivités territoriales) », considérant aussi que « cette situation paradoxale a été renforcée avec l'augmentation du taux de couverture des coûts (80%) attendu des éco-organismes à la faveur du dernier agrément ».Vous savez ce qu’on dit, rappelle la sénatrice Evelyne Didier (CRC – Meurthe-et-Moselle), qui a, elle aussi, établi un rapport d'information (remis en novembre dernier) dont le thème est consacré aux REP et à l'écoconception : « quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage»...

Rapport d’abord confidentiel, il aurait été diffusé sous le manteau (et par qui ?) en début de semaine et finalement débloqué sur demande insistante d’Amorce vendredi soir, ce qui met fin, selon Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, à une opération de communication et de lobby  pour le moins intrigante!
Certes, la Cour des Comptes pointe du doigt les charges de structure pharaoniques d’Eco-Emballages (en particulier les honoraires d’avocats -environ 8 millions d'euros- et les dépenses évènementielles -860 000 euros dépensés pour fêter l'anniversaire des 20 ans d'existence de la structure), la complexité des barèmes amont et aval, la nécessaire implication des collectivités, une politique de communication ambiguë sur le point vert  et d’auto-promotion, la marge de progrès en matière de prévention ou encore dans le contrôle des contributeurs, et  l’absence de sanction...
Autant de points de vue défendus par Amorce et les collectivités locales depuis plusieurs années, rappelle aussi Gilles Vincent ; au demeurant, les questions ne manquent pas :
Comment expliquer l’absence d’expertise sur les mécanismes de placements aux îles Caïmans, pour ne se satisfaire que de la gestion efficace de l’après-crise sur le plan comptable?
Comment expliquer qu’aucun avis n’est donné par la Cour des Comptes sur les hypothèses de calcul des coûts de la filière qui ont été au cœur de toutes les discussions depuis 3 ans, alors qu’Amorce et les collectivités, puis le Ministère, ont successivement démontré qu’ils ont été sous-estimés de plus de 80 à 300 millions d’euros par an au profit d’Eco-Emballages?
Comment accepter qu’elle dénonce au contraire un calcul surévaluant les coûts car intégrant le coût des emballages (pour la plupart non recyclables) traités en mélange dans les ordures ménagères résiduelles, avec une lecture pour le moins originale de la loi Grenelle et une conception pour le moins étonnante du principe de Responsabilité élargie des producteurs, proche des positions de l’éco-organisme?
Autaut de pilules difficiles à déglutir et générant des aigreurs d'estomac au sein des collectivités adhérentes d'Amorce...