Les expéditions de recherche scientifique Tara Oceans 2009-2013 (France) et Malaspina 2010 (Espagne) ont mis en évidence le transport à grande échelle de débris de plastique flottants depuis l'océan Atlantique jusqu’à l'Arctique. Publiée dans Science Advances (voir ici), l'étude confirme qu’en seulement quelques décennies d’utilisation de matières plastiques, la pollution marine résultante est déjà devenue un grave problème jusque dans l’Arctique…
Bien que la faible densité de population du bassin arctique ne produise que peu de déchets sur place, cette nouvelle étude montre que les mers du Groenland et de Barents (la partie nord de l’Atlantique Nord) accumulent de grandes quantités de débris plastiques, apportés par les courants océaniques. Dans cette région du monde, les répercussions écologiques potentielles de l’exposition aux débris plastiques sont amplifiées par le caractère unique de cet écosystème, encore vierge et reculé.
L’équipe chargée de l’étude, dirigée par le professeur Andrès Cózar de l’Université de Cadix en Espagne, est composée de 12 institutions de 8 pays. Elle avait précédemment démontré que chacun des 5 gyres océaniques agit comme une immense zone de convergence pour les débris plastiques flottants. Dans une étude plus récente, ils ont montré que les mers semi-fermées à forte densité de population, telles que la Méditerranée, constituent également des zones d’accumulation importante de débris plastiques. L’océan Arctique, éloigné des zones d’habitation, n’était initialement pas "candidat" à l’accumulation de microplastiques.
Lors de l’expédition Tara Oceans (2013), la goélette Tara a effectué des prélèvements autour du bassin Arctique, échantillonné du plancton mais également des microplastiques pendant 5 mois, et a permis de réaliser une carte mondiale de la pollution plastique flottante. "Les concentrations en plastique dans les eaux arctiques étaient faibles, comme nous nous y attendions, mais nous avons découvert un secteur au nord des mers du Groenland et de Barents présentant des teneurs relativement élevées", commente Andrès Cózar. "Il y a un transport continu de déchets flottants depuis l'Atlantique Nord, et les mers du Groenland et de Barents constituent une impasse pour ces plastiques, convoyés vers le pôle par les courants marins et contraints de rester en surface".
Si une partie des plastiques trouvés dans l'Arctique provient de sources locales, principalement du fait de l'augmentation de l'activité maritime dans cette zone, les charges élevées de plastique dans l'océan Arctique résultent en majeure partie du transport à grande échelle de déchets, provenant des côtes densément peuplées de l’Atlantique Nord, généré par les courants océaniques. Ce transfert de plastique vers les pôles est lié à la circulation méridienne de retournement dans l’Atlantique, un "tapis roulant" connu jusqu'à présent pour redistribuer la chaleur des latitudes les plus chaudes vers les pôles.
"Une pollution plastique générée dans un endroit peut souiller d'autres régions isolées et exercer ainsi des effets dévastateurs sur un écosystème vierge tel que l'Arctique. Cette zone forme un cul-de-sac, une impasse où les courants laissent les débris à la surface. Nous assistons peut-être à la formation d’une autre poubelle de la planète, sans comprendre totalement les risques encourus pour la faune et la flore locales", indique l'équipe du professeur Cózar. "Les résultats de cette étude soulignent l’importance de minimiser et de mieux gérer les déchets plastiques dès leur source par les industriels, dans les foyers, par les collectivités et les Etats, car une fois que ceux-ci atteignent l'océan, leur destination et leurs impacts deviennent incontrôlables", conclut Romain Troublé, Directeur de la Fondation Tara Expéditions.
En rapport direct avec le sujet, nous vous renvoyons à notre article : Pollution : zoom sur la fragmentation des déchets plastiques.