Déchets post-tsunami : une véritable cata environnementale
Après le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 sur la côte est du Japon, Robin des Bois avait sonné l’alarme sur l’invasion de l’océan Pacifique par les déchets de la catastrophe et sur leur trajectoire circulaire (voir notre article). L'association avait en outre prédit qu’un courant marginal emmènerait des déchets vers l’Alaska. 2 ans après, ces prévisions se confirment et les Etats riverains du Pacifique Nord commencent à prendre conscience de la gravité et de l’amplitude du problème. Selon les dernières expertises américaines, 30 000 à 375 000 tonnes de déchets post-tsunami vont ainsi s’échouer sur les côtes de l’Alaska, de la Colombie Britannique, de l’Orégon et de l’Etat de Washington...
Suite à la terrible catastrophe qui l'a frappé, le Japon estime que 5 millions de tonnes de déchets sont parties à la mer. Ceci équivaut à 10% de la collecte annuelle des déchets municipaux du pays, et ce volume est peut-être sous estimé. Sur ces 5 millions de tonnes, 3,5 millions auraient coulé rapidement, et au moins 1,5 million de tonnes (soit 11 jours de collecte des déchets au Japon !) sont parties à la dérive au gré des courants et du vent. Les principales catégories de matériaux ou d’objets sont des plastiques, des bois, du polystyrène, du verre, des appareils électroménagers, des engins de pêche et d’aquaculture, des embarcations de tailles diverses, des conteneurs maritimes...
En Alaska, au printemps 2012, des déchets pionniers portant la signature du tsunami sont déjà arrivés sur la côte ou dans les eaux côtières : des ballons, un conteneur vide, et le Ryou-Un Maru (un chalutier de 60 mètres de long). Depuis mai dernier, dans le Prince William Sound déjà frappé par la marée noire de l’Exxon Valdez, c’est une marée blanche de fragments et de plaques de polystyrène, de bois et d’emballages domestiques et industriels qui déferle. Ces arrivages s’ajoutent aux arrivages de routine des déchets hors tsunami. Au sud de l’Alaska, les arrivages en 2012 en provenance du tsunami sont estimés à environ 150 kg par km de linéaire côtier.
Le littoral Pacifique du Canada subit les mêmes effets. La Colombie Britannique, et aux Etats-Unis l’Orégon, l’Etat de Washington, la Californie cherchent à mettre au point un protocole commun de nettoyage et d’évaluation des coûts économiques. En effet, une recrudescence des arrivages de déchets est signalée depuis avril 2012. 2 échouages exceptionnels ont ainsi suscité l’émotion en Orégon et dans l’Etat de Washington. Les autorités ont considéré comme une priorité le démantèlement sous protocole de 2 docks flottants en provenance du port tsunamié de Misawa (dans la préfecture d’Aomori). Il s’agissait d’éviter la prolifération des espèces marines invasives qui les avaient colonisés, ainsi que la dispersion du polystyrène pris en sandwich entre les cloisons d’acier fissurées. Des contrôles radiologiques ont été effectués à l’arrivée de ces macro-déchets géants ; ils ont été négatifs. L’Etat de Washington déplore le manque de coordination et souhaite que le Gouvernement et ses agences spécialisées interviennent dans les opérations de recherches, de planification et de nettoyage. L’administration américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) considère désormais que les déchets du tsunami dans l’océan Pacifique constituent un événement majeur.
Le voyage trans-pacifique peut durer entre un et 4 ans selon la flottabilité et la prise au vent des déchets. Ceux-ci sont transportés par le Courant du Pacifique Nord. Le flux principal contournera le nord de l’archipel de Hawaï à partir de la fin de l’année 2013. Déjà en première vague, des esquifs en polyester, des ampoules électriques, des casques de protection, des bouteilles post-tsunami ont atterri au nord de l’archipel. Les déchets approcheront ensuite la Californie et le Nord du Mexique, s’y échoueront en partie, contourneront le sud des îles Hawaï et alimenteront la convergence subtropicale, plus connue sous le nom de "Plaque de déchets du Pacifique Nord" (voir notre dépêche). Cette zone, dont la superficie totale serait de plusieurs millions de km², concentre en surface et en profondeur des déchets qui ont une faible prise au vent et qui perdent progressivement leur flottabilité et leur vélocité. Il s’agit en particulier de fragments de plastiques, de déchets colonisés et alourdis par des organismes marins, ou encore des sédiments en suspension, typiquement des bâches en plastique ou des sacs en plastique ou des filets de pêche ou morceaux de filets de pêche qui capturent en surface d’autres déchets et finissent par couler.
Les déchets les plus résistants, intacts ou fragmentés et les plus flottants pourront revenir au nord du Japon dans la décennie 2020-2030, après un premier tour de l’océan Pacifique Nord. Beaucoup de dommages resteront difficilement perceptibles dans un océan qui couvre 35 millions de km² et dont la profondeur moyenne est de 4 200 mètres. Il n’y a pas encore de programme international impliquant tous les Etats riverains de l’océan Pacifique Nord sur le suivi à long terme des déchets flottants ou immergés antérieurs au tsunami ou postérieurs (Philippines, Taiwan, Chine, Corée du Sud, Japon, Russie, EtatsUnis, Canada, Mexique...). L’ampleur de cette catastrophe pourrait inciter les Etats riverains à mobiliser leurs moyens logistiques pour capturer un maximum de déchets aussitôt après un évènement majeur et pour, dans un deuxième temps, fédérer leurs capacités de surveillance.
Tout ceci s'accompagne bien sûr d'effets néfastes sur l'écologie marine, comme par exemple l'artificialisation et la pollution des fonds. La contamination des poissons et des oiseaux marins par l’ingestion de particules de plastique est également très problématique (perte d’appétit, de mobilité, trouble de la croissance). Les particules et fragments de plastique concentrent les polluants chimiques rejetés dans le milieu marin. Plusieurs espèces sont visées, dont le thon rouge. L’ingestion de plastique peut également provoquer des étouffements, notamment chez les tortues marines et chez les mammifères marins. Outre l'aspect écologique, des effets sur la sécurité maritime sont à déplorer. Les risques de collision des navires de surface (cargos, pêche, plaisance) ou des sous-marins avec des bois ou des conteneurs ou d’autres objets lourds dérivant à la surface ou entre 2 eaux sont importants et dureront pendant plusieurs décennies. Ce risque existait déjà avant le tsunami mais il est maintenant aggravé.