Déchets toxiques ivoiriens : un procès tronqué
Comment rétablir la chaîne des responsabilités dans le drame du déversement des déchets toxiques issus des cales du Probo Koala, alors que la filiale locale de Trafigura, Puma Energy, et son administrateur, N'Zi Kablan, ne comparaissent pas devant la Cour d’assises d’Abidjan ? Leur absence ne peut qu'entâcher ce procès et lui ôter en partie sa crédibilité...
Depuis l'ouverture, il y a une semaine du procès des déchets toxiques issus des cales du Probo Koala, les accusés tour à tour témoignent . De ces témoignages plusieurs zones d'ombre se dégagent, ainsi qu'une évidence, l'absence en tant que témoin de l'administrateur, N'Zi Kablan. de la filiale locale, Puma Energy, de Trafigura.
Pourtant, il n'y aurait pas eu de victimes s'il n'y avait pas eu de déchets toxiques à traiter et Trafigura avait une connaissance parfaite de la toxicité de ces déchets. N'oublions pas que le Probo Koala n'avait pas pu faire traiter ces déchets lors de ces précédentes étapes avant d'atterrir à Abidjan. Trafigura, « ne pouvait ignorer l’incapacité technique » de la Côte d'Ivoire à traiter ces déchets. De plus, selon le rapport de la commission ivoirienne d'enquête ( voir ancien rédactionnel ), tout laisse à penser que Tommy aurait été créée dans le seul but de prendre en charge les déchets du Probo Koala et qu’elle « est l’auteur principal du déversement » et « a toutes les apparences d’une société écran ». Elle aurait accepté de prendre en charge les déchets toxiques pour moins de 15 000 euros. Dans ces conditions, ce procès ne peut-être que tronqué.
Parmi les auditions, selon une récente dépêche AFP, Salomon Ugborugbo de la société Tommy, qui répond au chef d'accusation d'empoisonnement, a déclaré à la barre avoir été "trahi" par l'administrateur de Puma Energy, N'Zi Kablan, qui lui aurait caché la nature toxique des 528 m3 de slops à pomper dans le Probo Koala. Il s'agissait pour lui de "slops ordinaires", c'est-à-dire des "eaux usées" mélangées avec des "produits de nettoyage", comme de "l'eau de javel".
"Je ne suis pas chimiste. J'ai fait confiance à sa parole", a ajouté le patron de Tommy même s'il reconnaît que N'Zi Kablan lui a montré un fax de Trafigura précissant qu'il s'agissait de "slops chimiques". "Il a surtout insisté sur l'odeur", a affirmé M. Ugborugbo à propos de M. Kablan.
"Kablan savait très bien que c'étaient des matières dangereuses et il aurait dû contacter le département des matières dangereuses du port (autonome d'Abidjan)", a-t-il poursuivi.
"Je lui ai dit où j'allais les déverser", a-t-il ajouté, racontant avoir contacté la décharge publique d'Akouédo (district d'Abidjan).
M. Ugborugbo a ajouté ne s'être douté de quelque chose que lorsque M. Kablan lui a demandé de facturer le travail à "1.000 dollars" le mètre cube alors qu'il était payé "35 dollars" par m3.
Il a également affirmé que des agents de la Société nationale des opérations pétrolières de Côte d'Ivoire (Petroci, publique), sur le quai de laquelle se trouvait le Probo Koala, étaient montés à bord du cargo en raison de l'odeur pestilentielle des slops.
Un "officier" du Probo Koala et "des experts de Trafigura" présents à bord les ont alors convaincus que "le produit n'était pas dangereux", permettant au pompage de continuer, a affirmé M. Ugborugbo.
Rebondissant sur ces déclarations, les avocats de la défense se sont étonnés M. Ugborugbo n'ait jamais été confronté pendant l'instruction avec ces agents, ni ceux de la société travaillant à la décharge d'Akouédo.
Ils ont aussi regretté l'absence de M. Kablan, pourtant cité comme témoin par la cour.
Le dirigeant de Puma Energy, tout comme les cadres de Trafigura, a bénéficié d'un non-lieu lors du renvoi de l'affaire devant les assises.
Le 13 février 2007, Trafigura avait obtenu l'arrêt de toute poursuite judiciaire à son encontre, y compris sa filiale, au terme d'un accord à l'amiable avec l'Etat ivoirien. Ce dernier a reçu en contre-partie une indemnisation globale de plus de 100 milliards de FCFA (152 millions d'euros).
Un des avocats de l'Etat ivoirien, Me Christophe Kossougro Sery, a toutefois indiqué à la presse, en marge de l'audience, que le parquet général pouvait ouvrir une nouvelle information judicaire, y compris contre Trafigura, si "des indices graves et concordants" apparaissaient au cours du procès.
La transaction entre l'Etat et la multinationale concernait, selon lui, le volet civil de l'affaire et non le "côté pénal".
Source AFP