DEEE : une montagne, à abattre
Si nous connaissons en France, les DEEE, les éco-organismes dédiés à leur collecte, leur tri, leur recyclage, moyennant le règlement d'une taxe, alias « une éco-contribution », il s'avère que tout n'est pas rose, si l'on élargit le cercle...
Waste crime...
C'est le nom du rapport établi par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Pour commencer, il met les pieds dans le plat : établissant un parallèle direct avec le gaspillage alimentaire (1,3 milliard de tonnes de nourritures sont produites par an, moyennant le sacrifice de millions d'animaux, ne l'oublions pas, que d'aucuns laissent aux bords de l'assiette, comme si la mort violente, n'avait aucune valeur). Hormis l'élevage dans des conditions souvent abominables, le gaspillage alimentaire se chiffrerait à 1 000 milliards de dollars...
Pour en revenir aux DEEE, il sont aussi, ailleurs que sur nos territoires, un truc stratégique qui n'a rien à voir avec l'environnement : certaines pratiques sont beaucoup plus terre à terre, et bassement matérielles.
Le rapport du PNUE rappelle que les DEEE contiennent des substances telles que mercure, plomb, retardateurs de flammes, mais aussi que le débat est industriel, puisqu'il faut envisager des traitements adaptés pour dépolluer les DEEE de leurs substances toxiques.
Il s'agira aussi, bien sur, de recycler ce qui peut l'être et même d'inclure la question du recyclage dans la conception même des nouveaux produits en amont. Et de rappeler que « la filière est économique », puisqu'elle est assise sur la bagatelle de 410 milliards de dollars... Sans compter la valeur humaine puisque cette activité et pourvoyeuse d'emplois dans nos contrées.
Sauf que … Oui, il y a un hic. Et de taille ! « Comme dans tout secteur économique de cette ampleur, il y a des opportunités pour des activités illégales à différents niveaux de la chaîne de gestion des déchets. Dans la course aux profits, les opérateurs peuvent ignorer les réglementations sur les déchets et exposer des populations, aux substances toxiques. A plus grande échelle, le Crime organisé peut pratiquer la fraude fiscale... comme le blanchiment d'argent».
Le rapport établit un chiffre : 41,8 millions de tonnes de DEEE générés dans le monde, en 2014, avec une projection établie à 50 millions de tonnes en 2018, sauf que 10 à 40% seulement de ces tonnages seraient à ce jour, convenablement traités (Cf les résultats de l'enquête menée par le Bureau des Nations Unies sur les Drogues et le Crime, Onodc), ce qui signifie a contrario, que 60 à 90% de ces déchets échapperaient aux filières officialisées. Autant dire que ça fait tâche... Parce que l'on parle de 25 à 38 millions de tonnes (et à 450 euros la tonne, cf, le rapport d'Interpol établi en 2009, ça nous établit le business à 11, voire 17 milliards d'euros ; pas étonnant que ça puisse attirer des gens peu fréquentables) ; ces trafics profitent aussi bien aux sociétés qui, récupérant des DEEE, perçoivent des rémunérations pour mettre en œuvre des traitements qui n'auront pas lieu, qu'à des acteurs qui valorisent les déchets à moindre coût sans respecter les règles environnementales contraignantes qui sont de mise dans nos contrées, ou encore à des brokers qui expédient et vendent des matériels d'occasion peu chers mais plus chers que ce qu'ils ont payé...
Il paraît même aussi, que l'on pourrait faire 200 à 300% d'économies en confiant le recyclage des DEEE à des filières illégales...
La convention de Bâle réglemente les transferts transfrontaliers des déchets dits dangereux et exige des signataires du texte « qu'ils veillent à ce que ces déchets soient gérés et éliminés d'une manière écologiquement rationnelle ». Ce qui signifie que l'on exporte pas des DEEE comme on exporte des baguettes de pain, et que l'on ne peut normalement pas expédier ses déchets dans des pays où les structures ne sont pas adéquates pour démanteler, dépolluer et valoriser les déchets.
Le rapport de l'Uned souligne que la pratique qui s'est développée consiste « tout simplement » à étiqueter ses conteneurs autrement : en lieu et place des déchets d'équipement électroniques, on mentionne que ce sont des matériels d'occasion et le tour est joué. D'autres personnages broient les DEEE et les mélangent savamment avec des déchets non dangereux : ça passe pour ce que ce n'est pas, et ni vu, ni connu...
Cela dit, il existe aussi de véritables organisations criminelles qui se serviraient de l'importation des déchets pour pratiquer le blanchiment d'argent. Les déchets en questions étant largués en mer, ou enfouis dans des décharges à ciel ouvert. De la même manière que des tonnages conséquents sont « traités » sans précaution aucune, par des entités asiatiques (Chine, Inde, Pakistan, Indonésie, Bangladesh) ou africaines (Côte d'Ivoire, Nigéria, Congo, Ghana)...
D'autres sources d'inforrmations confirment ces tristes constats. Ainsi, selon Europol, le trafic de déchets est en effet l’une des principales activités environnementales du crime organisé, avec le trafic d’espèces protégées ; au demeurant, une vaste opération policière ayant impliqué plus de 2500 officiers de 14 pays de l'UE en novembre dernier, et dont les résultats ont été publiés en mars de cette année. Les premiers résultats ont été publiés par Europol en mars dernier : l'opération a permis de mettre à jour un trafic de déchets illégal, soit l'équivalent de 11 tonnes de matières détournées et considérées comme déchets dangereux. 678 sites, plus de 1400 transporteurs et producteurs de déchets (centres de stockage, incinérateurs, sites pétrochimiques, démolisseurs de VHU…) et 2200 personnes ont été contrôlées. 95 d'entre elles ont fait l'objet d'une procédure judiciaire.
Selon la Commission européenne, un quart des déchets exportés de l’Union vers les pays en développement sont en infraction avec la législation internationale (la Convention de Bâle notamment). Cela représenterait 2,8 millions de tonnes par an au minimum (étant entendu que les exportations douteuses dans des pays en développement proviennent aussi, des Etats-Unis et d'ailleurs).
Difficile à croire (parce qu'en France, nous sommes éco-organisés), et pourtant vrai... Chez nous en effet, le consommateur paye une éco-contribution qui financerait 60% de la filière, les 40% restant, devant être financés via la revente des matières recyclées récupérées. Ce qui ne signifie pas pour autant que la boucle est bouclée : Christian Brabant, directeur général d'Eco-systèmes le rappelait encore récemment (voir DEEE : Eco-systèmes annonce un "peut mieux faire")...