Dépollution des navires : recette pour boire le bouillon
Il n’y a pas de quoi noyer son chagrin mais il est clair qu'il nous faudra souquer ferme pour rattraper le retard. Si la France n’est à 20 000 lieues sous les mers, certains constatent l'inexistence de volontarisme de la part de l'Etat et la difficulté de rassembler diverses compétences…, ce qui conduit à l'impossibilité de mettre en place d'une véritable filière française de déconstruction des navires. L'affaire du Clemenceau témoigne s’il est besoin de cet état de fait. François de la Chevalerie, Daniel Joubert et Jacques Humbert ( IR & Amiante ) n’ont pas hésité à nous exprimer leur point de vue sur ce sujet délicat…
La déconstruction des navires est inséparable d'un préalable, leur dépollution. Celle-ci recouvre plusieurs expertises lesquelles méthodiquement rassemblées pourraient donner naissance à un savoir faire globalisé et opérationnel.
Le marché est là : 600 coques de navire à dépolluer dans le monde et ce, sans compter avec d'autres secteurs, par exemple, le matériel ferroviaire.
Malheureusement, comme en témoigne l'affaire du Clemenceau, la technologie française existe mais se présente en ordre dispersé, sans pilotage. De surcroît, les pouvoirs publics n'apparaissent pas sérieusement impliqués dans la mise en place d'une « filière française de dépollution des navires ».
De fait, le Clemenceau aurait pu être emblématique de l'existence d'une compétence française dans ce domaine; or cela n'a pas été le cas, tant il est vrai que les ronds dans l'eau du bateau ont permis à notre pays de flirter avec le ridicule. Une situation cocasse qui aura coûté énormément de pognon au contribuable. Mais on le sait, on n'est pas forcément à ça près...
Au nombre des enjeux, le désamiantage du navire. Malgré une large couverture médiatique, ponctuée d'innombrables péripéties, rien n'a été fait pour apporter une solution française à ce problème.
« Nous en avons fait l'amère et instructive expérience. Disposant d'une technologie de traitement et d'inertage de l'amiante que nous développons dans le cadre de la société Techmé ( IR & Amiante ), aussitôt lancé l'appel à candidature pour le marché public de démantèlement de la coque Q790 (Clémenceau) en novembre 2006, nous avons cherché à prendre contact avec des partenaires possibles. D'une part, auprès le Ministère de la Défense, gestionnaire du dossier. D'autre part, auprès des sociétés Veolia Propreté, laquelle souhaitait renforcer ses activités dans le recyclage avec l'installation d'une filière de démantèlement à Bordeaux et Suez : toutes deux ayant participé à l'appel d'offres.
Nous leur proposions l'application d'un traitement in situ de l'amiante selon une solution physico-chimique douce à base aqueuse permettant le dépoussiérage, l'enrobage et la consolidation mécanique des flocages d'amiante friable. Ces solutions permettent une avancée significative dans deux directions : d'une part, la sécurisation des conditions de travail sur les chantiers de désamiantage et, d'autre part, la réduction et la stabilisation des niveaux d'empoussièrement (teneur en microfibres par litre d'air).
Nous avions alors la conviction que tous ensemble, nous pouvions faire mentir l'incapacité des français à apporter une réponse à ce problème. Qui plus est, fort d'une expertise commune, nous aurions pu exporter ce savoir faire en aidant à la sécurisation des chantiers de démantèlement, notamment, à destination des ouvriers de la baie d'Alang (Inde) lesquels désossent des épaves dans des conditions épouvantables. Point de départ aussi de l'affaire du Clémenceau.
Naguère pilier du savoir faire français, à notre sens, le Clemenceau pouvait le redevenir en la forme d'un chantier pilote porté par une véritable politique industrielle et environnementale.
Malgré notre détermination et de multiples relances, nous n'avons reçu aucune réponse ni de la part du Ministère de la Défense pas davantage des sociétés ci-dessus mentionnées.
Ou la négligence. Ou le mépris. Peut-être ont-ils considéré qu'il n'y avait pas à traiter avec une petite entreprise en gestation, ce que nous sommes ».
Au final, la société britannique Able UK Ltd a empoché le marché.
« Moins frileuse que les sociétés françaises, cette société a pris contact avec nous. Aujourd'hui, nous avons lancé avec celle-ci une série d'essais in situ. Nous pouvons enfin mettre en ouvre notre technologie. Si les résultats s'avèrent positifs, les anglais disposeront alors d'une expertise consolidée en dépollution.
Triste histoire !...
Voilà donc un savoir faire français qui se délocalise faute d'écoute et de la nécessité de se rassembler, faute aussi d'un véritable volontarisme de la part de l'Etat de mettre en ouvre une filière française de déconstruction des navires », concluent François de la Chevalerie, Daniel Joubert et Jacques Humbert...