Économie circulaire : on progresse, mais reste encore beaucoup à faire...
Brune Poirson, n' a pas manqué d'insister sur le rôle de l’Etat, qui consiste à donner une vision, et donc de montrer le chemin, « un chemin qui sera balisé de façon très étroite», mais également de mettre des contraintes pour atteindre les objectifs, évoquant les engagements sur le recyclage avec la division par deux de la mise en décharge d’ici 2025 et la mise à contribution des industriels du tabac pour la gestion des mégots, tout en défendant le principe d'une hausse de la fiscalité et celui du durcissement des règles concernant le fonctionnement des éco-organismes…
Pour l'heure, les engagements des entreprises sont jugés insuffisants, en nombre et en impact, selon les pouvoirs publics ; ils se renforceraient si seulement la réglementation le permettait, soulignent les grandes entreprises concernées, rassemblées au sein d'associations, qui dans l'ensemble se déclarent opposés à la contrainte qu'elles jugent contre-productive.
Et pour cause : elles insistent sur le fait qu'elles connaissent bien le terrain sur lequel elles évoluent et se posent en dépositaires de solutions possibles, sur la base d’engagements volontaires : si on se renvoie gentiment la balle, on affiche une réelle volonté de progresser.
Cette rencontre a permis à l’Association française des entreprises privées (Afep), de faire un bilan des 100 engagements pris il y a 18 mois (février 2017) par 33 de ses membres, de présenter 21 nouveaux engagements adoptés courant 2018. et le soutien à la démarche des Engagements pour la Croissance Verte (ECV).
Air France, Bouygues, Carrefour, Danone, Engie, Veolia, Total, Suez, Michelin, entre autres, ont listé une série d'objectifs et fixé des délais pour les atteindre, afin de limiter leur consommation en matières premières, eau ou énergie. Avec à la clé un bilan que l'association juge très positif, notamment grâce à une démarche volontaire, ce que n'a pas manqué de souligner le directeur général de l’Afep, François Soulmagnon, qui rappelle que les « engagements d’entreprises sont des outils efficaces dans des domaines d’innovation complexe comme l’économie circulaire. Leur publication et leur suivi sont un gage de leur sérieux », citant en exemple l’engagement du Crédit Agricole (le groupe bancaire envisage de changer son matériau de fabrication, pour passer du plastique PVC issu du pétrole, au PLA provenant du maïs), « qui a recyclé 16,5 tonnes de cartes bancaires, l'an dernier, alors qu'il s'était fixé un objectif de 10 tonnes », mais aussi celui du groupe de blanchisserie Elis, « qui a réduit sa consommation d'eau de 29 % par rapport à 2010, alors que son objectif était de parvenir à une réduction de 25 % d'ici 2020 ».
Et de préciser que sur « l’ensemble des engagements pris, 79 suivent le rythme prévu, 16 sont en avance et un a été arrêté », mais aussi qu'il est fondamentalement important de « travailler ensemble, entreprises et Etat, surtout à la veille du projet de loi sur l’économie circulaire ».
Fabrice Bonnifet, président de C3D, est très clair : « au C3D (113 grandes et moyennes entreprises, ndlr), nous estimons que la stratégie des entreprises doit prendre en compte les données produites par la communauté scientifique et que l’économie circulaire constitue le premier levier à activer pour réussir la transition vers une économie bas carbone tout en créant des emplois locaux. L’objectif de l’économie circulaire n’est pas seulement de pratiquer un recyclage plus efficace ; il est avant tout, de promouvoir l’éco-conception pour booster le réemploi, la réparabilité, l’allongement de la durée de vie des produits et l’économie de l’usage »...
Ainsi, dans le secteur du BTP, il est tout à fait possible d’aller beaucoup plus loin pour ce qui touche au réemploi des matières premières puisque « certains matériaux de déconstruction recyclés pourraient même, être exportés vers des pays émergents ». Toujours est-il que les industriels mettent l'accent sur les techniques qui permettent par exemple, d'incorporer davantage de matières premières recyclées dans la fabrication du béton, alors qu'aujourd'hui, on tourne encore à 20% de matière recyclée. Ils penchent donc pour un taux d'incorporation supérieur, à faire figurer dans les cahiers des charges des donneurs d’ordre...
Dans leur étude conjointe, qui a été dévoilée lors de ce colloque, intitulée « les indicateurs de l’économie circulaire pour les entreprises », EpE et l’INEC ont mis en évidence les outils de mesure existants ainsi que les bonnes pratiques développées par les entreprises : analyse du cycle de vie (ACV), facteur carbone, émissions de gaz à effet de serre évitées, taux de valorisation des déchets, recensement de produits éco-conçus, pourcentage d’eaux usées réutilisées sont recensés… Des recommandations pour construire des indicateurs de pilotage sont aussi proposées. Pierre Victoria, Secrétaire du Bureau d’EpE a souligné que les « entreprises étant de plus en plus nombreuses à s’engager dans des démarches d’économie circulaire, l’enjeu est de mesurer non seulement la performance économique mais aussi les divers effets environnementaux de ces démarches, résultant notamment de l’évolution des émissions, de la consommation de matières, d’eau et d’espace », tandis que François-Michel Lambert, qui préside l’INEC, a réaffirmé que « la transition vers l’économie circulaire nécessite une transformation de notre modèle vers l’efficience des ressources, qui exige d’agir à tous les niveaux, par une stratégie, guidée avec des indicateurs, permettant de s’assurer de l’atteinte des objectif fixés, et un pilote au sein du gouvernement en charge de l’appliquer avec les acteurs économiques et publics ».
L’étude décortique les indicateurs employés par une quarantaine de grandes entreprises ; elle en décompte 160 et établit un constat : «60% d’entre eux portent sur les déchets, ce qui constitue un réflexe historique au sein des entreprises », précise David Laurent, responsable du pôle Climat et ressources d’EpE. Cela dit, « nous observons une tendance nette vers les indicateurs émergents, en particulier pour évaluer l’éco-conception, la durée d’usage ou encore la part de marché ».
France Industrie a mis en avant la diversité des actions et engagements volontaires pris par les filières industrielles, en particulier dans le cadre du Conseil National de l’Industrie. Philippe Darmayan, vice-président de l'association a profité de son intervention pour mettre en avant le fait que « dans un environnement toujours plus compétitif, les filières industrielles assument leurs responsabilités et prennent des engagements qu’elles contractualisent avec l’Etat. Cette démarche collaborative est essentielle pour réussir la transformation de notre système productif ».
Quant à Oréé, association multi-acteurs de 188 membres, acteur historique en France des démarches d’économie circulaire, notamment au travers de son approche territoriale, elle a conclu, par la voix de sa présidente, Patricia Savin, en réaffirmant que « l’économie circulaire, c’est d’abord une nouvelle façon de concevoir la société : produire et consommer différemment en limitant son empreinte environnementale. Tous les acteurs du territoire sont concernés et doivent œuvrer en synergie. L’Engagement pour la Croissance Verte Frivep, piloté par Orée autour du réemploi et du recyclage des vêtements professionnels en est la parfaite illustration. La FREC doit faciliter la mise en œuvre de telles démarches opérationnelles et pragmatiques »...
D'une manière générale, pour éviter de tourner en rond, les entreprises ont invité, arguments à l'appui, l’Etat à lever un certain nombre de verrous. Le message essentiel à retenir étant que « l’économie circulaire ne décollera que si la demande décolle » et que pour cela, « la commande publique se doit d'être prescriptrice », ce qui devrait passer par l'intégration dans les cahiers des charges « d'éco-variantes systématiques », ce qui serait « incontestablement plus efficace » que la création d’une filière à responsabilité élargie, notamment pour les déchets du BTP. S'agissant de ce levier lié à la demande, Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint de Suez, président de la Fead et président d'honneur de la Fnade, confirme bien volontiers que la demande est un maillon essentiel de la chaine : créer une économie circulaire pour le plastique recyclé n'est pas si simple ; mais « Suez va construire des usines de recyclage puisqu'il y aura des clients pour le plastique recyclé », dans la mesure où l’Union européenne est en passe d’adopter une obligation d’intégration de 35 % de matière recyclée dans les bouteilles en plastique en 2025.
Clôturant les échanges, le directeur général délégué de l'Ademe, Fabrice Boissier, s’est félicité de constater un passage effectif du discours, à l’action, même s'il a, aussi, considéré que ce début prometteur reste insuffisant, prévenant l'auditoire que « si on ne change pas rapidement de modèle... on ira droit dans le mur ».