Factures et fractures de la crise
Et l'on reparle de l'économie mondiale ... Il est à craindre que sans impulsion budgétaire, la reprise en Europe et aux Etats-Unis fera long feu. Trop de déséquilibres se conjuguent pour rétablir la confiance des ménages et des entreprises. Les marchés restent nerveux, et la nouvelle bulle tant espérée par le monde financier risque de faire… pschitt. 2010 ne sera pas catastrophique, mais pour le moins léthargique. Petit tour d'horizon en compagnie de l’économiste Laurent Faibis, Président de Xerfi ...
Le régime de Pékin, lui, relance. Mais avec une forte inflexion stratégique vers l’activité intérieure. Ce n’est pas un comportement opportuniste, mais sans doute un véritable changement de modèle de croissance. Ceux qui attendent de la demande et de l’épargne chinoise une impulsion décisive pour débloquer l’économie mondiale vont être déçus.
Il faut en effet craindre une Chine beaucoup plus autocentrée, qui se méfie chaque jour un peu plus du dollar et de la capacité du consommateur occidental surendetté à acheter ses produits. Ce n’est pas bon pour le commerce mondial, déjà en fort repli. Ce n’est pas bon pour le système monétaire international qui s’alimente de l’épargne chinoise. Ce n’est pas bon pour les Etats-Unis, et cela signifie à terme une rupture de l’alliance économique sino-américaine. C’est donc dangereux au plan géopolitique, car une Chine se repliant sur une zone asiatique qu’elle voudra naturellement dominer, c’est un risque de tensions internationales accrues.
Du côté occidental, la plupart des pays ont décidé de laisser filer les déficits pour soutenir les ménages et les entreprises. En Europe, exit les règles de Maastricht, déjà bien oubliées : on ne sait plus quel est le niveau d’endettement raisonnable. Il est vrai que les taux d’intérêt son bas, très bas. Keynes aurait sans doute soutenu l’idée : quand on est confronté à une incertitude radicale, que la peur du lendemain fait enfler l’épargne au détriment de la demande et de l’investissement, il n’y a plus d’autre choix raisonnable que l’impulsion publique pour donner des points de repère, et rétablir la confiance.
D’ailleurs, avec des liquidités mondiales surabondantes, on peut se demander s’il ne vaut pas mieux se résoudre à ce qu’elles soient finalement épongées par la dette d’Etat que par une nouvelle bulle spéculative, qui ferait encore plus de dégâts que la précédente.
Les conventions, cela se change ! Un consensus implicite semble-t-il partagé par la plupart des capitales occidentales, de Washington à Londres, de Paris, Rome à Madrid. Reste à savoir comment sera résorbée à son tour cette dette. Par l’inflation ? Peu probable, tant les pressions à la baisse des prix et des salaires sont fortes. Une augmentation des impôts ? Pas si sûr. Alors que la plupart des pays occidentaux vont mettre plusieurs années pour recouvrer le niveau de patrimoine et de PIB détruit par la crise, il serait désastreux de décourager les consommateurs-épargnants (et électeurs de pays démocratiques) par une ponction fiscale. En fait, l’Histoire économique est riche de créativité pour réduire la dette d’Etat par des moyens non conventionnels….ne serait-ce qu’en modifiant les conventions monétaires ou comptables.
L’Allemagne seule contre tous ? Cette stratégie risque de ne pas être partagée par Berlin, qui semble vouloir faire cavalier seul. Sous la pression des libéraux, la nouvelle coalition ferait du rigorisme budgétaire une vertu première. Une stratégie qui mènerait sans doute l’Allemagne (et l’Europe !) dans l’impasse alors qu’il lui faudra encore plus de temps que les autres partenaires occidentaux pour combler le fossé de croissance creusé en 2009, et remettre sur pied un système bancaire dévasté.
Dans un contexte de contraction du commerce mondial et de ralentissement de la demande de biens d’équipement des émergents, avec une Chine plus autarcique et une demande des voisins européens en panne, pas facile d’exporter davantage. Au plan intérieur, en l’absence de soutien de la demande, avec une pression accrue sur les salaires et un déclin démographique désormais inexorable, le diagnostic n’est guère meilleur. Ce qui est bon pour les industriels allemands risque d’être fâcheux pour les Allemands.
Et l'on reparle de l’addition...Comment concevoir une Union européenne encore davantage écartelée par des stratégies nationales non-coopératives, avec une Allemagne imposant à la fois la purge et la guerre des marchés à ses partenaires ? Comment les Etats-Unis pourraient-ils accepter une Chine ne voulant plus financer son économie, et se proclamant leader de la zone asiatique, avec un regard de plus en plus gourmand envers les champs pétroliers, à commencer par ceux d’Iran ? Trop de risques s’accumulent sur l’ensemble des grands équilibres géo-stratégiques internationaux. La facture de la crise risque ainsi de se transformer en fractures internationales. Et l’addition ne serait alors pas seulement économique et financière.