Ferrailles : Mittal dézinguerait plus de 700 personnes
"On a un sentiment de stupéfaction, de gâchis, d'écoeurement", lâche Marcel Thill, secrétaire CFDT du comité d'entreprise d'ArcelorMittal Gandrange (Moselle). Demain, un CE extraordinaire est convoqué sur le site, racheté en 1999 par l'indien Mittal Steel, devenu le premier aciériste mondial depuis sa fusion avec Arcelor, en 2006. Selon les représentants du personnel, l'entreprise envisage d'annoncer la fermeture, d'ici 2009, du four électrique et du train à billettes. En incluant les salariés d'ArcelorMittal et les sous-traitants travaillant sur le site, Marcel Thill estime que 700 emplois sur 1200 environ sont menacés.
La rumeur est confirmée par les syndicats : le géant de l’acier, compte fermer deux sites à Gandrange en Moselle. Près de 900 emplois directs menacés, dont 700 dans l’immédiat. Les organisations syndicales de l’aciérie Arcelor Mittal de Gandrange (Moselle) ont été reçues séparément les 7, 8 et 9 janvier par la direction, pour se voir annoncer un projet de restructuration qui conduira à très court terme à la fermeture du site, selon Xavier Phan Dinh, membre CGT du comité d’entreprise européen d’Arcelor Mittal.
La fermeture de l’aciérie électrique et du train à billettes (cylindres de métal), soit deux sites, serait prévue d’ici à avril 2009. Seul le laminoir à couronne et à barre, soit environ 300 emplois, bénéficierait d’une solution alternative et serait conservé dans l’établissement. Mais les syndicats sont plus que sceptiques devant les intentions de la direction. « En 1999, un laminoir situé à Longwy, à une quarantaine de kilomètres de Gandrange, a été fermé car Arcelor Mittal estimait que les deux sites étaient trop éloignés l’un de l’autre, explique Xavier Phan Dinh. Or, avec la solution alternative de la direction, le laminoir à couronne et à barre sera approvisionné par un établissement situé en Allemagne, à plusieurs centaines de kilomètres de là. Cela ne tiendra pas, ce laminoir est aussi condamné à moyen terme. »
Au-delà des 900 emplois d’Arcelor Mittal Gandrange, plusieurs centaines d’emplois dans les entreprises sous-traitantes seraient indirectement menacés par la fermeture de cette usine.
Une intersyndicale s’est réunie dans l’urgence hier et la direction a convoqué, pour demain, un comité d’entreprise (CE) extraordinaire, à l’ordre du jour duquel elle a inscrit la « réorganisation du site de Gandrange » et les « conséquences sociales de cette réorganisation ». Devant la gravité de la situation, les trois syndicats d’Arcelor Mittal Gandrange (CFDT, CGT et CFE-CGC) appellent à un rassemblement et à un débrayage ce 16 janvier. Une AG sera organisée le 17, qui réunira salariés, syndicats et élus locaux.
L'inquiétude et la colère étaient également palpables chez les élus de la région. "Mittal s'était engagé à maintenir l'emploi en reprenant Arcelor en 2006. Vouloir fermer, même partiellement, le site est scandaleux alors que la demande d’acier explose", s'est indignée Aurélie Filippetti, députée et porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale. Elle a dit avoir demandé au Premier ministre, François Fillon, de lui donner "les informations qu'il détenait sur la stratégie de Mittal en France, et particulièrement en Lorraine".
La députée européenne (UDF-ADLE) Nathalie Griesbeck a invité les élus de la région à "se mobiliser (...) sur un dossier qui engage l'avenir économique" de la Moselle tandis que Jean Kiffer, maire (UMP) de la commune voisine d'Amnéville (10 000 habitants), a proposé de créer une société d'économie mixte "qui construirait, après avoir rasé la vieille carcasse complètement pourrie et irrécupérable (de l'usine actuelle, ndlr), une aciérie électrique nouvelle".
L’usine de Gandrange, vendue en 1999 par Francis Mer, pour le franc symbolique à Lakshmi Mittal, aurait perdu 36 millions d’euros en 2007. Néanmoins, « du fait d’une puissance financière sans précédent, ArcelorMittal, premier groupe sidérurgique au monde, dispose des moyens nécessaires pour soutenir ses sociétés qui rencontrent des difficultés passagères, ont répondu les syndicats. Il ne s’agit pas, comme par le passé, de problèmes de surcapacités, de vétusté d’installations, de retard technologique ou d’absence de marché. Nous sommes seulement face à des dysfonctionnements dans la chaîne de production ». Car l'industriel indien est devenu entre-temps le patron d'ArcelorMittal et le premier aciériste mondial (320 000 salariés)...
Pour l'exercice en cours, la Fédération internationale de l'acier prévoit une hausse de 6,8% de la demande mondiale.
Au troisième trimestre 2007-2008, Arcelor Mittal a enregistré un résultat net de 2,96 milliards de dollars (2,155 milliards d’euros), en progression de 35,6 %. Et dans un entretien publié le 10 janvier par le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, Lakshmi Mittal disait s’attendre à ce que la demande d’acier reste élevée en 2008.
En 2006, alors que Mittal Steel convoitait Arcelor, la direction faisait volontiers visiter les installations de Gandrange aux journalistes, pour montrer son savoir-faire industriel et humain. "Beaucoup ici se demandent s'il n'y a pas eu un calcul de Lakshmi Mittal, qui mettait en avant Gandrange comme vitrine sociale, affirme Marcel Thill. M. Mittal est très fort en communication... Mais maintenant que la fusion est faite, il casse la vitrine !".
Selon le secrétaire du CE, "le site est viable moyennant des efforts d'investissements et une redistribution du carnet de commandes, parce que pour le moment on fait de la petite quincaillerie avec une grosse machine". Le laminoir de Gandrange serait conservé, mais les syndicalistes doutent de sa viabilité à court terme s'il faut faire venir l'acier d'ailleurs.
"Si tout cela est vrai, c'est incompréhensible", déclare Marcel G., un lamineur de 53 ans employé depuis 23 ans dans l'usine. "La demande mondiale d'acier n'a jamais été aussi forte et les bénéfices d'ArcelorMittal aussi élevés. Et on voudrait fermer Gandrange?", ajoute-t-il abasourdi.