Guérilla judiciaire autour du « Clem »

Le 11/04/2005 à 10:02  

Guérilla judiciaire autour du « Clem »

Porte-avions Clemenceau en rade de Toulon copyright Luc Beneteau Pauvre Clemenceau ! Ancien fleuron de la Royale, tu collectionnes les avatars. Depuis son désarmement, en 1997, l’ancien porte-avions français n'en finit pas de mourir. Amarrée à Toulon, la carcasse est promise à un dernier voyage vers le chantier de démolition d'Alang, dans la province du Gujarat, en Inde. Mais deux associations, l'Andeva (Association nationale des victimes de l'amiante) et Ban Asbestos ("bannir l'amiante"), ont entamé une guérilla judiciaire pour le maintenir à quai… Quelle galère !

Avis de tempête ...

Les deux associations se battent au motif que le Clemenceau contient encore des quantités non négligeables d’amiante, fibre réputée cancérigène. Déjà déboutés par deux fois, les requérants demandent, référé après référé (les prochains devant être examinés cette semaine et le 14 avril), que soit déclarée illicite son expédition vers un pays tiers qui ne peut garantir des conditions de sécurité suffisantes aux ouvriers chargés du démantèlement du navire.

Pour appuyer leur demande, les associations brandissent le code de l'environnement français, un règlement européen et la convention internationale de Bâle, qui interdisent l'exportation de l'amiante, assimilée à un déchet dangereux. Elles exigent également de connaître les conditions des contrats qui lient les différentes parties...

Rappel des faits…

Le 23 juin 2004, les Domaines ont vendu le bien national à Ship Decomissioning Industries Corporation (SDI), société de droit panaméen qui a ensuite sous-traité le désamiantage à la société Technopure.

Coquille vide de 22 000 tonnes, dépouillée de ses hélices, moteurs et équipements pour fournir des pièces de rechange au Foch, son sistership vendu à la marine brésilienne, le navire avait été cédé au prix de la ferraille à une entreprise espagnole, en mars 2003. L'acheteur s'engageait à désamianter le navire à Gijon, dans les Asturies, selon des normes de sécurité européennes.

Le 13 octobre de la même année, le "Clem" quittait, en remorque, la rade. Mais, loin de mettre le cap sur la péninsule ibérique, il était repéré faisant route vers la Turquie. Sur fond de polémique, le navire allait (pendant quelques semaines) faire des ronds dans l'eau avant de regagner le bercail, la France. Le gouvernement dénonçait alors le contrat avec la société espagnole et cédait l'encombrant fardeau à SDI.

Le 22 novembre 2004, débutaient les opérations de désamiantage, à Toulon même. Selon le ministère de la Défense, « 270 tonnes de déchets amiantés ont été prélevées… mais il reste de l'amiante résiduel, captif dans certaines structures de la coque". Mais le bât blesse et le capital confiance est altéré ; dès lors les discussions et tractations sur fond de bataille judiciaire pointent à l’horizon : quand les autorités évaluent ce reliquat à 20 tonnes, les associations soupçonnent des quantités plus importantes. Le ministère de la défense a beau assurer que le chantier en Inde est certifié et que les travaux de démantèlement seront supervisés par un institut indépendant, rien n’y fait : les deux associations ne lâchent pas prise.

Aujourd’hui, on est toujours dans la brume et on navigue à vue, pour autant que l’on puisse y voir clair...

Le ministère ne change pas de cap et se refuse toujours à avancer le moindre élément sur le montage financier : il se contente d’affirmer que "le coût de l'opération est nul pour l'Etat, la charge du désamiantage étant compensée par la vente de la ferraille". Invités à produire les contrats lors d'un précédent référé, les avocats de l'Etat ont même invoqué le secret-défense.

Dans l’immédiat, une expertise indépendante a demandé qu'un désamiantage complémentaire soit effectué à Toulon. "S'il faut quelques semaines pour des travaux supplémentaires, il y aura quelques semaines pour des travaux supplémentaires", assure Jean-François Bureau, porte-parole du ministère de la Défense, qui tient bon ses avirons et ne peut que souquer ferme face à la déferlante associative : il insiste sur le fait « qu'aucune date n'a encore été arrêtée pour le départ vers l'Inde ».

Bref, on l'aura compris : dans cette affaire, tout le monde rame! Quelle galère !