Huiles usagées : deux industriels se mettent à table

Le 06/11/2008 à 19:09  

Huiles usagées : deux industriels se mettent à table

Conférence de presse Ecopack Ce ne sont pas des malfaisants ayant maille à partir avec la justice mais tout simplement des bavards lorsqu’ils répondent à quelques questions sur le pourquoi et le comment d’un partenariat mis en place avec les restaurateurs, ayant pour vocation de doper le recyclage des huiles usagées. Car éliminer l’huile de friture pose un réel problème aux restaurateurs. Actuellement, 63 % seulement d'entre eux (1) (dont la restauration collective) déclarent recycler leur huile. Et les autres ? Ils la rejettent dans la nature, l’évier ou le réseau des eaux pluviales (2). Pas bien ... Non traitées par une filière adaptée, les graisses asphyxient les sols, bouchent les canalisations et leur fermentation en l’absence d’oxygène dégage un hydrogène sulfuré dangereux.

À la station d’épuration, les corps gras diminuent le rendement des micro-organismes. Selon le Ministère de l’écologie, un seul litre d’huile pollue une surface de 10 000 m2 d’eau. Comme pour le plastique, le papier et le verre, les huiles alimentaires usagées ne doivent pas être rejetées avec les déchets ménagers.
Le 15 octobre dernier avait lieu une rencontre entre des industriels que tout semble séparer et rapprocher en même temps : Lesieur et Veolia ont en effet décidé de travailler ensemble afin d’activer le recyclage des huiles usagées.

• Industriel de l’agroalimentaire, Lesieur étend sa responsabilité au devenir de ses produits après leur utilisation, afin de leur donner une seconde vie.

• Industriel de l’environnement, Veolia Propreté identifie et valorise une ressource, là où d’autres ne voient qu’un déchet difficile à éliminer.

Ces deux leaders dans leurs domaines respectifs s’associent afin de proposer une solution globale à l’ensemble de la filière, de l’agriculteur à l’automobiliste en passant par le restaurateur. Afin de créer ce partenariat d’écologie industrielle, les deux industriels se sont réunis pour proposer un service innovant : les restaurateurs et collectivités qui commandent l’huile Lesieur Frial Excellence pourront joindre par téléphone/internet le service Ecopack :

• Une estimation de leurs besoins en volume de stockage et une fréquence de collecte leur seront proposées.

• Les fûts de collecte et les boites Ecopack leurs sont livrés au fur et à mesure de leur consommation, ils remplissent les fûts et la boite Ecopack. Quand la boite est pleine, ils appellent Veolia Propreté au : 01 43 52 02 80 pour enlèvement. A cette occasion Veolia Propreté leur remet de nouveaux fûts et une boite afin de continuer le processus.. Le service Ecopack Frial inclut la récupération de l’huile de friture Frial Excellence usagée et sa valorisation.

Autour de la table, pour en parler, Stanislas Dupré, directeur général d’Utopies, Romain Nouffert, directeur général délégué de Lesieur France, Fabrice Lefèbvre directeur général d’Ecogras et directeur technique du groupe Sarp (filiales de Veolia Propreté), David Garbous, directeur des ventes restauration hors foyer de Lesieur, Didier Gabarda-Oliva, ingénieur à l’Ademe

Quest-ce que lécologie industrielle ?

Stanislas Dupré, directeur général d'Utopies Stanislas Dupré : L’écologie industrielle, c’est tenter de passer d’une vision linéaire d’une activité et de produits à une vision cyclique. C’est passer d’une démarche « j’extrais des matières, je les utilise et ensuite je ne me préoccupe pas trop de ce qu’elles deviennent » à une démarche plus responsable sur le modèle « je gère tout le cycle de vie en récupérant des déchets et les transformant en nouvelles ressources ». Il s’agit donc de considérer ce que les entreprises perçoivent comme une somme de problèmes -les déchets-, comme une matière à transformer en solutions. Cela suppose de repenser les process industriels et les produits, et c’est là toute la difficulté. Notre objectif, chez Utopies, est d’aider les entreprises à comprendre comment, à travers leurs activités, elles peuvent contribuer davantage à l’intérêt général tout en y trouvant un intérêt financier. De ce point de vue le projet de Lesieur et Veolia Propreté est très intéressant. Il associe deux acteurs connus du public, et initie une véritable approche en boucle : de la production d’huile à sa valorisation.

Quelle est la motivation de lengagement environnemental de Lesieur ?

Romain Nouffert Romain Nouffert : Le développement durable. Lesieur a 100 ans cette année, c’est une grande dame, une marque qui a su durer. Or, pour durer, il faut être en phase avec les tendances de son époque. Lesieur l’a toujours été, et même légèrement en avance. Par exemple en prenant à bras le corps la problématique de la nutrition depuis le lancement d’Isio 4 dès 1990, première huile au profil nutritionnel optimal, jusqu’à la dernière née de la gamme : Isio Memo, enrichi en DHA pour la vitalité d’esprit, lancée en 2007.

Le constat est le suivant : les huiles de friture rejetées dans les réseaux d’assainissement sont une catastrophe pour toute la chaîne. Deux chiffres : un litre d’huile usagée déversé dans la nature pollue 10 000 m² de surface (selon le ministère de l’Environnement) et augmente très sensiblement le coût de traitement de l’eau.

Depuis 4 ans, Lesieur s’est lancé dans un cycle volontariste d’innovations sur les axes plaisir et nutrition sans négliger les solutions environnementales.

Nous avons donc cherché une idée pour apporter une vraie solution à un vrai problème, pour l’environnement, mais également pour nos clients. Pour mener à bien cette mission, nous ne pouvions travailler seuls. Nous nous sommes donc associés aux plus exigeants, à une entreprise capable de proposer le service sur l’ensemble du territoire national : Veolia Propreté. Aujourd’hui, nos deux sociétés lancent écopack, une première innovation qui cumule nutrition et environnement : Frial est un top nutritionnel pour le bien être des individus et l’Ecopack une réelle innovation au service de l’environnement.

Pourquoi les déchets gras nuisent-ils à l’environnement ?

Assemblée des orateurs conférence EcopackFabrice Lefebvre : Non seulement, ils bouchent les réseaux et provoquent donc des inondations, mais d’autre part, en vieillissant, la graisse s’hydrolyse et s’acidifie, ce qui dégrade les canalisations, les pompes de relevage et dégage des gaz de fermentation comme le méthane. Pour faire simple, les corps gras bouchent le réseau d'assainissement exactement comme l'arthériosclérose bouche nos artères. La SARP a pour mission d’entretenir les réseaux et nous constatons que les cas les plus fréquents de dégradation sont dus aux graisses. Ensuite, à la station d’épuration, les bactéries ont besoin de beaucoup d’énergie pour digérer les déchets gras. Moins il y aura d’huile, mieux l’environnement se portera ! Pour ce faire, que faire??? Et bien des gestes simples. Avec les déchets, plus le problème est pris en amont, plus grandes sont les chances de valorisation et de recyclage. Le bon geste du restaurateur est de faire appel à un collecteur qui met à sa disposition des fûts régulièrement relevés, dans lesquels il déverse son huile de friture.

Comment cette collecte est-elle organisée ?

Fabrice Lefebvre : Il faut savoir que la moitié des chauffeurs se concentre sur une zone Ile-de-France élargie. Des petits camions font la tournée des restaurants et regroupent les bidons dans des sites de transit. De plus grands camions les conduisent à l'un des deux fondoirs dotn nous disposons en France, situés à Aubervilliers et à côté de Limoges. Celui d’Aubervilliers sera transféré à Bonneuil sur Marne fin 2009.

Une fois arrivée sur site, l'huile subit donc une première étape, celle du fondoir parce qu'il faut réchauffer l’huile, souvent figée. Mais aussi la purifier de l’eau, des morceaux de frites ou de nuggets par filtration et décantation. L’énergie du chauffage sera bientôt fournie par des graisses recyclées issues des bacs dégraisseurs des restaurants.

C’est plus propre que le fuel, car il n’y a pas de soufre. En sortie, cette huile purifiée, appelée « MixoilTM », va à l’usine de biocarburants que nous construisons à Limay et qui sera opérationnelle début janvier 2009.


Pour le restaurateur, quel est l’intérêt de la filière que vous proposez ?

Fabrice Lefebvre : Veolia offre la traçabilité. La réglementation française sur les déchets est très claire : la responsabilité du producteur se poursuit après le départ du déchet et est engagée jusqu’à son élimination. Le restaurateur doit contrôler que le récupérateur bénéficie d’une autorisation préfectorale pour le transit et la fonte des huiles, et que son activité de collecte d’huiles de friture est réellement déclarée à la préfecture. Chez Veolia, nous offrons au restaurateur la garantie d’un transport par des collecteurs déclarés en préfecture, vers des sites de transit et de fonte autorisés par la réglementation des installations classées. Nos bons d’enlèvement indiquent de façon claire toute la filière. Notre métier : la garantie environnementale.

Comment la collaboration Lesieur Veolia Propreté est-elle née ?

Fabrice Lefebvre : On s’est aperçus que l’on travaillait sur le même sujet environnemental. Nous avons voulu aller au bout du raisonnement, avec un partenaire fabricant d’huile qui a une vraie volonté de travailler sur le domaine nutritionnel et environnemental. Il y a encore des restaurateurs qui déversent leur huile dans le réseau, car ils ne savent pas que des circuits existent. En se mettant à deux, on a davantage de chance que ce gisement, qui aujourd’hui pollue les réseaux ou la nature, puisse se substituer à l’énergie fossile.

Du point de vue écologique, une friterie située à Brest ou à Strasbourg ne devrait-elle pas favoriser les circuits courts, donc mélanger son huile usagée au gasoil du camion ?

Fabrice Lefebvre : C’est un déchet, pas une huile végétale vierge ! Le moteur risque de s’encrasser très vite et de produire des gaz d’échappement non conformes. Et l’utilisation des huiles de friture dans les moteurs est interdite par la loi. Un biocarburant doit répondre à un cahier des charges très strict destiné à fournir toutes les garanties de durée de vie du moteur et de respect des normes européennes de rejet.

Quel est le point de vue des collectivités locales ?

Fabrice Lefebvre : Lorsque ces huiles partent dans le réseau d’assainissement, la collectivité paie les coûts liés à son encrassement.

Aujourd’hui, les collectivités prennent conscience qu’elles ne doivent plus faire subir à leurs administrés et contribuables le coût d’un déchet issu de professionnels de la restauration. Elles leur demandent donc de s’adresser aux professionnels de la collecte. Au fond, c’est pour le bénéfice de la collectivité, l’huile usagée n’est plus un déchet mais une source d’énergie renouvelable.


Q
uels objectifs Lesieur s'est-il fixé?

David Garbous de Lesieur France David Garbous : Notre ambition est d’apporter au restaurateur la solution la plus complète possible pour cuisiner des frites et autres fritures. Pour cela, il a besoin d’une bonne huile, mais aussi de solutions pour éliminer ses huiles devenues déchets, une fois arrivées en fin de vie.

Pour être capables d’apporter une solution complète, il nous est vite apparu évident que nous devions nous associer avec des professionnels disposant de ce savoir-faire, l’acteur le plus en pointe sur le domaine de la valorisation et des solutions apportées étant, de notre point de vue, Veolia Propreté. Veolia garantit en effet une collecte dans le strict respect des lois et décrets en vigueur (ICPE, déclaration en préfecture…), une capacité de collecte sur l’ensemble du territoire français, donc pour l’ensemble des acteurs du marché. L’usine Veolia Propreté qui sera achevée à Limay début 2009 constitue un projet majeur pour améliorer le bilan carbone des huiles retraitées. Enfin, avec Veolia Propreté, nous pouvons aller plus loin que la seule récupération des huiles, en collectant des emballages Frial dans une logique zéro déchets.

Et ainsi, la boucle est bouclée : grâce à notre expertise, Frial Excellence est un produit parfaitement adapté aux exigences des professionnels ; grâce à celle de Veolia, l’Ecopack devient une vraie solution complète qui associe santé des hommes et santé de la planète.

Il est bon de rappeler que le marché des huiles de friture en restauration est important : plus de 70 millions de litres sont consommés chaque année. Pour notre première année, nous nous sommes fixés pour objectif un million de litres valorisés grâce à l’Ecopack.

Comment mesurerez-vous ce résultat ?

David Garbous : L’Ecopack Frial répond aux préoccupations actuelles sur le pouvoir d’achat et l’environnement. Nous disons à nos clients : achetez moins, mais achetez mieux. Acheter en moins grande quantité des produits de meilleure qualité, c’est tordre le cou à l’idée traditionnelle des achats (plus j’achète, moins je paie cher), c’est moins de matière première utilisée, moins de transport... C’est également favoriser une approche du coût à l’usage, plutôt qu’un simple coût d’achat. Ainsi, en prenant en compte la performance de Frial et les gains qu’elle permet à l’usage, c’est l’huile de friture la moins chère du marché, alors que son prix au litre ne reflète pas cette réalité... en première lecture !

Le succès de cette opération partenariale entre nutrition et recyclage dépendra de la sensibilité de nos clients à la nutrition et à l’environnement, mais aussi de notre capacité à faire partager notre enthousiasme pour ce service Ecopack Frial. Un seul succès d’estime serait un échec. Nous devons être capables de démontrer que des initiatives de ce type peuvent devenir de véritables succès économiques. C’est la meilleure façon de faire tache d’huile, c’est-à-dire d’inspirer d’autres actions similaires, car dans le domaine du développement durable davantage que dans tout autre, plus les actions prennent de l’ampleur, plus elles ont du sens pour la planète. Il faut avoir vocation à être copiés !

Que pensez-vous de cette initiative?

Didier Gabarda Oliva : C’est une bonne initiative. La collecte des huiles alimentaires usagées a été pratiquée pour une valorisation en alimentation animale jusqu’en 1999. Le problème du «poulet à la dioxine» (3) – qui a mis en cause cette réutilisation – a provoqué l’écroulement de cette filière.

Aujourd’hui, la collecte redevient intéressante pour une autre raison, d'ordre énergétique. Bien sûr, les gisements sont faibles, 72 000 t au plus par an pour la restauration collective et commerciale. En rajoutant les ménages, on arrive à environ 100 000 t. L’expérience Lesieur-Veolia Propreté devrait faciliter la collecte des «petits restaurants», moins intéressante pour les collecteurs qui s’adressent préférentiellement aux gisements les plus facilement mobilisables : restauration rapide et grandes chaînes commerciales. L’Ademe approuve cette amélioration du maillage de la collecte des déchets et apprécie que cette initiative dynamise la collecte des huiles de friture, car actuellement un tiers seulement du gisement est collecté. Même si pour l’instant, cela concerne un seul produit, l’huile neuve Frial Excellence, c’est une étape, et cela ne peut qu’aller en augmentant avec une plus large gamme d’huiles récupérées.

Comment arrive-t-on à une véritable économie de fonctionnalité?

Didier Gabarda Oliva : On y parvient lorsqu’un déchet devient une ressource, par exemple en valorisant les emballages. Dans les dispositifs d’assainissement, les corps gras entraînent un colmatage des réseaux.

La majorité des stations d’épuration fonctionne sur le principe «des boues activées» avec des bactéries aérobies, dont les huiles alimentaires usagées perturbent le développement. On a tout intérêt à «sortir» les huiles alimentaires usagées des poubelles destinées au traitement des déchets (incinération, compostage, centres d’enfouissements) car les corps gras semi liquides salissent les bennes et leur pouvoir calorifique élevé peut détériorer les réfractaires des fours d’incinération. Leur transformation en ressources est donc préférable, à tous points de vue.
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(1) Source étude quantitative sur 350 établissements - janvier 2007

(2) Selon l’Art. R. 1337-1 du Code de la santé publique, 1 500 € d’amende et 3 000 € en cas de récidive.

(3) La crise de la dioxine a été médiatisée en France à la suite de la contamination des poulets belges par une alimentation composée en partie d’huiles alimentaires recyclées. En fait, le centre belge de traitement d’huile récupérait des huiles alimentaires contaminées par des huiles diélectriques issues de transformateurs électriques, provoquant une contamination par le pyralène, produit hautement toxique et cancérigène. Le pyralène fait partie de la famille des PCB, qui forment lors de leur combustion de la dioxine.