La perception des centres de stockage : Recevoir et Savoir
Animateur de l’association écologiste Robin des bois, ancien de Greenpeace, Jacky Bonnemains se bat sur tous les fronts du non-respect de l’environnement. A cinquante cinq ans, le militant écologiste est souvent en colère, aussi bien pour les marées noires à répétition, le marché de la corne d’éléphant, l’emploi " démesuré " des bois tropicaux dans les ouvrages d’architecture... que pour tout ce qui touche au monde des déchets. Son combat ne date pas d’hier puisqu’il fut l’un des fondateurs de Greenpeace. " Avec quatre autres membres, nous avons été licenciés sans la moindre explication en 1985, à la veille de l’affaire Rainbow Warrior. De cet épisode fâcheux demeure une cicatrice encore sensible. Pour rebondir, l’équipage " échoué " a crée Robin des bois en 1994". En clair, le non respect de l'environnement a tendance à titiller la corde sensible de notre interlocuiteur : de fait, à la simple évocation de ces phénomènes il est prolixe et raconte les faits dans leurs moindres détails... In-sa-tia-ble...
"Mon voisin le CSD n’existe pas"… Qu'entendez-vous par là ?
Malgré les acronymes qui se succèdent depuis une quinzaine d’années, une décharge reste toujours une décharge pour les riverains qui sont exposés à l’incessant flux de camions et de remorques qui amènent les quotidiennes contributions locales des populations et des activités humaines à la production nationale et mondiale de déchets. Un centre de stockage ou d’enfouissement technique reste toujours une succession de trous et autres tumulus qui attire les mouettes, émet des bruits, des odeurs et des envols en direction du riverain, avec en émergence des inquiétudes et convictions sanitaires mises en avant par les effets de loupe des associations, des journalistes et des médecins aussi. La décharge pourrait être l’élément structurant de la territorialité, le cimetière honoré de la consommation et du bassin d’emploi local et c’est un cul de sac ou un giratoire délaissé.
Les déchets sont-ils "égaux" face aux riverains ?
Les producteurs de déchets ne sont pas exempts de contradictions et il arrive qu’ils aient avec leurs sous-productions fatales, des rapports de familiarité plutôt que de répugnance avec les déchets. Les composts familiaux, les brûlages dans la cour, tous les rebuts enterrés en bout de champ, les pratiques internes dans les camps militaires et les ... couvents, toutes ces auto suffisances, montrent que le syndrome d’exclusion des déchets n’est pas homogène. Les innombrables décharges de déchets dites inertes dont l'accès est réservé aux usagers du coin qui vont y amener leurs déchets, pas de ces déchets du voyage qui arrivent dans des camions dont on ne connaît pas les chauffeurs, montrent aussi la préférence et presque la tendresse que les riverains, les maires et les ensembles d’élus peuvent avoir pour des arrivages sans contrôle et sans pesée. Le tableau de la perception est complexe et contradictoire d’autant que dans certains cas, les permis de construire sont demandés et délivrés à proximité immédiate de décharges en activité.
Ce qui gêne, c’est le gigantisme, l’immigration des déchets issus de cultures ou de sous-groupes inconnus et porteurs de risques exogènes, risques divers allant de l’infection à la corruption.
Les veillées de riverains frémissent toujours, 20 ans après, d’histoires de camions qui arrivent la nuit et cherchent à se débarrasser par tous les moyens de leur cargaison maudite et indésirable ailleurs, sauf chez eux peut être.
Nuisances d’aujourd’hui, nuisances d’hier : question de nuance ?
Des paramètres plus techniques comme les pollutions des ressources aquatiques –petites rivières et nappes perchées- sont pris en considération ; pour bien prouver leur désintéressement, ceux qui les maintient négligent les risques pour eux-mêmes en invoquant sans hésitation « les générations futures », sortes d’abstractions charnelles qui dans cent ans et neuf moins prendront enfin la parole et sont censées remercier les ancêtres d’avoir évité à X ou Y l’importation d’une décharge.
Des conflits d’usages du patrimoine rural et les risques de contamination des eaux et produits deviennent de plus en plus aigus et redoutés dans les milieux agricoles qui, tout en utilisant pour la plupart des pesticides persistants exigent une décharge « bio » et foncièrement équitable.
La circulation de camions de plus en plus gros, de plus en plus rapides, sur des routes les plus souvent étroites, dégradées par le trafic, délaissées par la DDE, est un point de repère obsessionnel. Les bas-côtés de la voirie et des parterres de fleurs sont écrasés, comme quelques animaux de basse-cour ou domestiques. Il y a aussi les décibels des moteurs, le fracas des remorques sur les ornières ou la chaussée, les vibrations, quelques envols qui atterrissent dans les jardins ou à côté de la boîte aux lettres.
L’invasion des odeurs et des avertisseurs sonores des engins de compactage est en partir liée aux conditions météorologiques et à la direction des vents. Les effets olfactifs des épandages de lisiers sont parfois attribués aux décharges. Dans le domaine des effets sanitaires, de plus en plus d’asthmes, d’allergies, de pathologies respiratoires sont attribués par les médecins locaux à la « bulle » des sites de traitement de déchets, en premier lieu les sites thermiques mais aussi les décharges. Le passif historique des activités du déchet –milliers de décharges, casses, carrières dont les mémoires sont envahies par les ronces ou recouvertes avec plus ou moins de prudence par de nouvelles activités de surface, 300 incinérateurs fermés – et le peu de soins qu’apportent en général les ex-exploitants ou les détenteurs à l’inventaire, au diagnostic, à la signalisation et à la réhabilitation constituent un handicap pour tout nouveau projet.
A quoi pourrait ressembler un "bon" CSd, à l'avenir ?
A notre sens, un bon centre de stockage pourra expliquer sa légitimité sociale, sanitaire, environnementale et mettre en avant sa contribution au maintien et au développement des activités régionales, industrielles, commerciale, de services et touristiques ; il pourra diffuser régulièrement dans le journal local ou dans d’autres supports des bulletins d’information sur les arrivages, les volumes, la nature des déchets, l’origine, les incidents et modes de fonctionnement dégradés, les non-conformité. Des efforts particuliers d’intégration dans le paysage naturel et bâti seront effectués et d’adaptation aux réseaux et trafics routiers. Le centre de stockage diffusera régulièrement des informations sur l’impact ou l’empreinte de ses activités sur l’environnement de surface, sur l’atmosphère et sur les eaux superficielles ou souterraines autrement que sur des relevés illisibles et quasiment incompréhensibles. Le centre de stockage renforcera son rang social en organisant des campagnes de retrait des déchets ménagers spéciaux ou de DTQD dans le canton où il s’inscrit et sera en mesure d’extraire du flux des déchets entrants des matériaux recyclables ou réutilisables qui auraient en amont échappé aux séquences de tri.
Dans le domaine des déchets ménagers, notre perception de la gestion s’inscrit dans la territorialité et la proximité, seules voies possibles pour que s’exerce le principe de responsabilité du producteur de déchets. Si les déchets sont exportés à 500 km et mélangés à ceux d’autres provenances, les producteurs n’en entendront jamais plus parler. S’ils sont traités dans un périmètre rapproché, les communautés impliquées pourront ou devront s’intéresser à leur gestion ultime, à l’évolution des tonnages et des impacts et mettre en œuvre d’éventuelles actions correctrices.