Le France sera démantelé en Inde
La fin est proche pour l'ancien France, rebaptisé depuis Norway, puis Blue Lady... Il finira sa carrière en Inde, et ce à l'issue d'une longue bataille judiciaire : mais çà y est ; la Cour Suprême indienne a autorisé le démantèlement du navire sur le chantier naval d’Alang, sur la côte ouest du pays. Nous n'aurons donc pas droit au ridicule deux fois...
Lancé en France en 1960 pour effectuer les traversées transatlantiques, le paquebot, comme ses congénères datant de cette époque, contient près de des centaines de tonnes d’amiante et d'autres matériaux toxiques, qui devront évidemment être prélevés.
Le navire était parvenu au large de l'Inde il y a tout juste un an, après avoir été racheté par des chantiers navals indiens pour la somme de 17 millions de dollars environ. Mais des organisations de défense de l'environnement s'étaient opposées à son démantélement, mettant en avant les mauvaises conditions de travail des ouvriers. Selon elles, un ouvrier sur six souffre d'asbestose, maladie incurable liée à l'inhalation de poussière d'amiante, et trente hommes meurent chaque année en dépeçant les navires. "Les ouvriers n'ont ni l'équipement ni la protection nécessaires pour travailler au contact des matières toxiques", assure Ingvild Jenssen, coordinatrice de la plate-forme des organisations non gouvernementales sur le démantèlement des navires. Les maires de douze villages des environs d'Alang sont venus témoigner des ravages de la pollution dans les cours d'eau et les nappes phréatiques, car "aucun chantier naval ne traite les produits chimiques", précise-t-elle.
Cette affaire n'est évidemment pas sans rappeler les démêlés du Clemenceau et ses ronds dans l'eau, ponctués de remous judiciaires. Pour finir, il avait été rapatrié à Brest, et ce avant que la Cour Suprême indienne ne se prononce sur son sort (voir notamment notre dépêche du 11 avril 2005 et celle du 15 février 2006).
Bref : cette dernière a donné son feu vert, le 11 septembre, au démantèlement et au désamiantage de l'ancien paquebot France, dans les chantiers navals d'Alang, à l'ouest du pays. Le navire arrivé en fin de vie, qui contiendrait 12 000 tonnes de cochonneries (amiante et autres matières toxiques), avait été autorisé à jeter l'ancre à 500 m des côtes indiennes, en mai 2006, dans l'attente d'une décision de justice. A l'époque, il venait d'être refoulé du Bangladesh, qui estimait un désamiantage sur son sol trop dangereux.
Mais la Cour suprême a décidé de suivre l'avis du groupe d'experts constitué pour l'occasion. Dans son rapport, ce comité affirme que les chantiers d'Alang disposent des infrastructures nécessaires pour traiter les matières dangereuses.
"Nous allons démanteler le navire, en suivant les mêmes règles et avec les mêmes précautions qu'aux Etats-Unis ou en Europe", explique un responsable de Priya Blue Industries, l'entreprise qui a racheté l'ex Francepour un montant estimé à 12 millions d'euros. D'après lui, des consultants spécialisés dans le traitement des matières toxiques seront recrutés, alors que les pièces dangereuses seront isolées puis mises sous scellés, avant d'être transportées en lieu sûr.
Tout au long de cette bataille judiciaire, c'est la crédibilité - et donc l'avenir - de l'industrie indienne du démantèlement qui était en jeu. Soumis à la rude concurrence de pays comme le Bangladesh, le Pakistan ou la Chine, les chantiers navals indiens traversent une période difficile. "Il y a vingt ans, le pays comptait 175 sites, alors qu'il n'y en a plus aujourd'hui que 25, avec seulement 45 navires arrivés sur nos côtes depuis le début de l'année", déplore Vishnu Gupta, président de l'Association indienne des industries de démantèlement de navires.
La carcasse de 46 000 tonnes de l'ex France soulagera l'appétit croissant de l'industrie indienne pour les matières premières. Un avocat de Priya Blue Industries avait déclaré, au cours de la procédure : "Le navire doit rester. L'Inde a besoin d'acier, bien plus que d'autres pays." Son démantèlement devrait commencer dans trois mois.