Les députés européens disent stop aux déchets
Les députés européens ont adopté hier les rapports de Caroline Jackson (PPE-DE, UK) sur la directive-cadre, et celui de Johannes Blokland (IND/DEM, NL) sur la "stratégie thématique". Les deux textes fixent de nouveaux objectifs en termes de stabilisation puis diminution des quantités de déchets, confirme la hiérarchisation du traitement, et ne reconnaît pas l'incinération comme un mode de valorisation...
A l'issue de ces votes, le principe de la "hiérarchie (du traitement) des déchets" se trouve pour la première fois inscrit dans une proposition de législation ainsi que dans la "Stratégie" dont s'inspireront à l'avenir d'autres mesures plus spécifiques.
Selon cette hiérarchie, avant toute chose, il faut prévenir et réduire la production de déchets. Puis, elle fixe un ordre préférentiel pour les opérations de traitement: la réutilisation, le recyclage, d'autres opérations de valorisation et enfin, en ultime recours, l'élimination de manière sûre et dans des conditions respectueuses de l'environnement.
Les opinions divergeaient sur le caractère plus ou moins contraignant de cette hiérarchie. Finalement, seuls des arguments scientifiquement établis et publics devraient permettre de déroger éventuellement à cet ordre de priorités.
Les incinérateurs en point de mire
Pour les parlementaires européens, il importe surtout de réduire in fine la mise en décharge et l'incinération, toutes deux sources de pollution. Dans le débat qui a précédé le vote, les députés se sont cependant divisés sur l'opportunité de considérer l'incinération comme une forme d'élimination ou comme une opération de valorisation. La Commission proposait initialement de considérer qu'il s'agit de valorisation dès lors qu'un certain seuil d'efficacité énergétique est atteint.
Finalement, une majorité de députés n'a pas admis l'idée que l'on puisse considérer l'incinération comme une forme de valorisation. Si cette option se maintient jusqu'au terme de la procédure de codécision, l'ensemble des acteurs de la gestion des déchets ne pourront plus opter aussi aisément qu'aujourd'hui pour la solution de facilité de l'incinération.
Stopper l'accumulation
Les députés demandent aussi que les Etats membres établissent des programmes de prévention nationaux dans les 18 mois qui suivront l'entrée en vigueur de la directive. L'objectif devrait être de stabiliser leur production de déchets en 2012, au niveau atteint en 2008. Et en 2010, des objectifs de réduction devraient être fixés pour l'horizon 2020.
D'autres objectifs ont été introduits pour la réutilisation et le recyclage. En 2020, 50 % des déchets municipaux et 70 % des déchets de construction, de démolition, industriels et de production devront être réutilisés ou recyclés. En principe, tout déchet doit au moins faire l'objet d'opérations de valorisation quand c'est possible. Les conditions de mise en décharge ont également été durcies.
Dans la Stratégie thématique, un échéancier est prévu :
en 2015, le papier, le verre, le textile, les plastiques et métaux notamment seront interdits de décharge et des systèmes de collecte sélective devront être introduits ;
en 2020, plus aucun déchet recyclable ne devrait aboutir dans les décharges.
Une codécision difficile
Les députés ont ajouté bien d'autres dispositions ou principes plus contraignants que dans la proposition initiale de la Commission:
introduction du principe du pollueur-payeur ;
introduction du principe de proximité: les déchets devraient être traités dans les installations les plus proches, indépendamment des frontières nationales ;
nouvel article sur la traçabilité et le contrôle des déchets dangereux ;
interdiction de mélanger des déchets dangereux mais plutôt séparation des composants dangereux avant traitement ;
demande de proposition législative pour définir les sous-produits qui ne seraient plus considérés comme des déchets
articles nouveau sur les déchets biodégradables et les déchets de table ;
articles nouveaux sur les permis, spécialement pour les déchets dangereux, et sur les sanctions ;
création d'un Forum consultatif sur la gestion des déchets.
Le niveau d'ambition des députés, à l'issue de ce vote en première lecture, mais aussi les divergences sensibles sur l'incinération par exemple, annoncent une codécision difficile avec le Conseil. Aujourd'hui, dans certains Etats membres, jusqu'à 90 % des déchets municipaux vont en décharge. Et à l'échelle européenne, seuls 33 % des déchets sont recyclés ou compostés…
Les réactions
Les Verts européens se félicitent que le Parlement européen se positionne pour la stabilisation des niveaux de déchets à l’horizon 2012. Si la réduction des déchets constitue un objectif de long terme, il est impératif d’agir sur le niveau des déchets que nous générons.
La décision des députés européens de rejeter la requalification de l’incinération comme récupération énergétique est un signal positif pour l’environnement. Cette disposition aurait en effet "écologisé" le procédé de l’incinération et donné l’impression que les incinérateurs sont bénéfiques pour l’environnement et la santé publique, ce qui n’est pas le cas.
Il est important de rappeler que tous les déchets que nous pouvons recycler doivent l’être ; que l’incinération ne doit être considérée que comme une technique ultime strictement encadrée par des critères d’efficacité intégrant les dimensions sanitaires et environnementales.
Au contraire, le développement des filières de recyclage répond aux exigences environnementales et sanitaires de nos concitoyens tout en favorisant le développement de nombreux d’emplois."
L'eurodéputée Françoise Grossetête a regretté l'introduction d'un amendement qui donne selon elle "une définition trop large des sous-produits de l'incinération, qui aboutit à pouvoir y inclure des déchets dangereux, par exemple des résidus de fuel", sous la pression de l'industrie allemande.
En France, le CNIID et les Amis de la Terre se félicitent du vote des députés européens. Pour eux, il constitue un pas décisif vers une société européenne du recyclage par le soutien du Parlement à une législation tournée vers la prévention, la réutilisation et le recyclage. "Les eurodéputés ont également répondu à l’urgente nécessité de proposer une directive sur les biodéchets, mesure qui pourrait permettre une réduction significative du volume de déchets à éliminer ", note Hélène Bourges, chargée de la campagne Alternatives au CNIID. " Nous appelons maintenant le gouvernement français à soutenir ces avancées importantes lors des discussions au sein du Conseil des ministres ".
Les eurodéputés se préparent désormais à d'ardues négociations, le texte relevant de la codécision entre Parlement et Etats-membres. Lors du débat, le commissaire chargé de l'environnement Stavros Dimas les a avertis qu'il s'attacherait à ce que le texte qui sortira de la procédure donne au problème "un cadre clair mais assez souple pour permettre de s'ajuster dans le temps aux besoins du moment".