Mutatio : un programme de R&D qui passe par le recyclé

 Fort du constat établi par des spécialistes, que le cours du pétrole allait continuer de flamber et qu'il serait peut-être temps de travailler à des solutions alternatives intégrant le recyclage, le groupe Soprema est à l'origine de la constitution d'un consortium ayant pour objectif d'organiser de la R&R à grande échelle, dans le cadre d'un programme collaboratif de qualité, qui a mobilisé 40 personnes. Doté d'un budget de 13 millions, il a permis le dépôt de 8 brevets. Le cours du pétrole s'est depuis lors effondré, ce qui est dramatique pour les nouvelles filières de recyclage qui se sont constituées... Si la compétitivité n'est pas au rendez-vous, du fait d'un pétrole à 20 dollars, les travaux engagés pour mettre sur pied de nouveaux produits intégrant le recyclé ne sont pas perdus pour autant : nul doute pour les membres du consortium qu'ils ont un avenir évident...

 Le groupe strasbourgeois Soprema s'est développé et s'est diversifié en intégrant au fil des années, des activités complémentaires à son métier d'origine, l'étanchéité, une donnée essentielle dans le secteur du bâtiment, mais pas seulement. « J'ai toujours eu une stratégie volontariste de développement qui s'appuie sur plusieurs axes, dont l'innovation, une innovation qui doit s'inscrire dans le développement durable », indique Pierre-Etienne Bindshelder, Président de l'entreprise, laquelle a été créée il y a plus de 100 ans...

Jusqu'en 2008, tous les produits développés par Soprema étaient dérivés du pétrole, le pétrole dont les cours ne cessaient de flamber, ce qui générait des tensions au niveau des approvisionnements. L'idée a germé qu'il serait sans doute intéressant de réduire l'utilisation du pétrole dans la conception des matériaux de construction et le remplacer, autant que possible, par des matières premières différentes, l'objectif étant de parvenir à substituer 65 % des matières premières fossiles de l'industriel par des matières écosourcées, c'est-à-dire issues à la fois de la biomasse (huiles végétales européennes, les dérivés du pin, les fibres de lin, la lignine et les tanins, et enfin les huiles algales ) et du recyclage (anciennes membranes d’étanchéité, huiles).
De là est né, en 2010, Mutatio, un ambitieux projet collaboratif de R&D, mené en collaboration avec de nombreux partenaires, lequel a débouché en 2016 sur des résultats dont chacun des partenaires peut être fier.
Pour mener à bien les travaux huit partenaires publics et privés se sont mobilisés : Mutatio se compose de :
  trois partenaires industriels : DRT (spécialiste des dérivés de la résine du pin), Oleon (chimie du végétal) et Van Robaeys et frères (culture du lin) ;
  deux partenaires académiques :
- IFTH (Institut français du textile et de l'habillement) spécialisé dans la R&D, les tests et essais, la certification et la coopération internationale, et faisant travailler travailler 140 experts, a lui aussi apporté sa pierre à l'édifice. Avec la mise au point de panneaux souples destinés à l'isolation thermique à base de ouate de cellulose et de fibres effilochées. Il travaille au renforcement de la compétence dans le domaine de la préparation des fibres naturelles et recyclées, et œuvre au développement des savoir-faire dans la mise au point de fibres non tissées.
- ICPEES (Institut de chimie et procédés pour l'énergie, l'environnement et la santé), une unitré mixte de recherche
  un partenaire financier : Bpifrance ;
  deux partenaires institutionnels : Fibres Energivie et IAR, pôle de la bioéconomie.

En 2016, plus de quarante professionnels avaient pris part à cette aventure, qui a nécessité 13 millions d'euros de budget sur une base prévisionnelle de 21 millions, un investissement qui n'aura pas été gâché puisque quatre produits qui ont résulté de ces travaux sont déjà commercialisés, tandis que quatre autres sont attendus pour l'année prochaine. Ce jeudi, Soprema, et le pôle de compétitivité Industrie & Agro-Ressources (IAR) livraient les résultats de ces recherches... à savoir des avancées scientifiques et technologiques majeures qui vont contribuer à l’émergence d’une filière française des écomatériaux de construction.

 D'un point de vue scientifique, les travaux menés par l'ICPEES et Soprema ont abouti à la mise au point, de deux types de mousses d'isolation polyuréthane à base de matières premières biosourcées (pour l'une, les poudres de lignine ou de tanin sont transformées en composés chimiques réactifs ; l'industrialisation de ce procédé est en cours. Pour l'autre des huiles de micro-algues ont été transformées en mousse d'isolation) et par ailleurs, de polymères qui ont été synthétisés pour remplace le PVC plastifié utilisé dans les membranes synthétiques. Les polyuréthanes et polyamides ainsi réalisés présentent des performances de durabilité améliorées grâce à l'utilisation d'huile de colza.

 D'un point de vue technologique, le transfert de savoirs, favorisé par le modèle collaboratif a débouché sur de réelles avancées.
Dès 2013, en effet, le consortium a conduit à la mise sur le marché d’une nouvelle gamme de membranes d’étanchéité (Mammouth® Néo), à base de polymères verts, la première membrane haute technologie composée à 75% de matières biosourcées d'une part, et qui s'avère deux fois plus durable qu'une membrane classique. Commercialisée depuis juillet 2014, elle sera, dès 2017, entièrement fabriquée avec du bitume vert, un matériau à base de dérivés de résines de pin et d’huile végétale.
Benjamin Léger, marketing manager chez DRT, une entreprise créée en 1932, indique que « nos travaux ont permis de démontrer qu'une bonne qualité technique de bitume vert est obtenue en mélangeant une résine dire du type terpène-phélonique (70% biosourcé) et un composant de type dérivé de poix de tall Oil (98% biosourcé), ceci ayant permis de développer deux nouvelles résines, et un émulsifiant pour bitume, ces travaux ayant favorisé une nouvelle mise au point sur la stabilité d'un bitume vert pour applications diverses. Ces partenariats permettent d'innover beaucoup plus, le bitume vert dont nous parlons est produit sans bitume, étant entendu en plus, qu'il est plus léger »...
Philippe Blach, ingénieur R&D marché chez Oléon, une entreprise née en 1835 (qui a fusionné avec Novance née en 1820, en 2015, ce qui fait d'elle le leader européen de l'oléochimie) qui fabrique des molécules issues de la chimie végétale et des graisses, indique pour sa part que « Mutatio a permis à notre entreprise un accroissement de ses compétences dans la conception et la production de polyols biosourcés pour les revêtements, la spécialité de la maison, et la mise au point d'une solution innovante permettant de substituer le bitume par une solution renouvelable ».....
Grâce aux travaux du consortium, deux technologies ont été validées pour le recyclage des membranes d'étanchéité en fin de vie, en vue de les réutiliser comme matière première dans la conception de nouvelles membranes. A la clé, un accord stratégique : Soprema est entrée en 2016, dans le capital de la start up Xcrusher, laquelle est détentrice d'une technologie sur la puissance pulsée haute fréquence, Soprema l'accompagnant dans le développement de cette techno...
De la même manière qu'une résine sans solvant a vu le jour, celle-ci étant passée par la mise au point d'une technologie de solvant réactif pour substituer le solvant de ses résines d'étanchéité liquide polyuréthane mono-composant. Ainsi, lors du séchage, le solvant ne s'évapore plus dans l'atmosphère... Sa commercialisation est programmée pour le second semestre de cette année.
Par ailleurs, VRF a mis au point une technique de traitement des fibres de lin leur permettant une utilisation comme fibres techniques aux mêmes cadences que les fibres synthétiques telle que la viscose. Une armature de membrane d'étanchéité 100% lin a été réalisée et utilisée lors d'un essai sur une ligne pilote...  « Van Robaeys Frères (une société familiale créée en 1928) travaille depuis 20 ans sur des applications techniques ; Mutatio a permis de mieux faire connaître le lin, de diversifier notre activité, mais aussi de participer à un projet d'envergure ayant des retombées économiques et par conséquent de découvrir de nouveaux marchés. Nous avons travaillé à l'élaboration d'une armature de membrane de renforcement bitumineuse à base de fibres de lin. En 2010, nous exploitions 4 tonnes de fibres pour ce type de débouchés ; en 2017, nous utiliserons 250 tonnes de ces mêmes fibres pour ces débouchés. En d'autre terme, Mutatio a incontestablement permis à notre société d'élargir notre savoir faire, ce qui a lui a été bénéfique en terme de renommée », soulignait Nicolas Mouret, responsable production au sein de la société spécialisée dans la culture et la préparation du lin, pour la filature mais aussi pour l'industrie automobile, des composites et du bâtiment...

 En paralèle, Soprema a acquis la société Pavatex, en 2016, là encore, cette entreprise étant spécialisée dans la production de panneaux d'isolation thermique à base de fibres de bois, les résultats obtenus par Mutatio étant utilisables sur la fibre de bois...
Au global, Mutatio a incontestablement contribué à créer une filière pour les écomatériaux de construction ; « Mutatio a ouvert la voie à des innovations significatives, comme la mise au point d'un bitume vert, de nouvelles résines sans solvant non polluantes et la conception de fibre de lin techniques naturelles et recyclables qui permettent de remplacer les fibres synthétiques », insiste Rémi Perrin, directeur de la R&D du groupe Soprema, étant entendu que la réalisation du projet a permis à Soprema d'utiliser une part beaucoup plus importante de matières premières recyclées et ou renouvelables dans ses produits : à fin 2015, ce sont plus de 12 000 tonnes d'huiles recyclées, plus de 150 tonnes d'huiles végétales, plus de 150 tonnes de résines de pin, plus de 40 tonnes de membranes recyclées sur le pilote1.0, et plus de 80 tonnes de polyols pour résine PU, qui ont été utilisées.
« Le Consortium a très très bien fonctionné et tout le monde y a gagné ». Si, pour l'heure, Rémi Perrin, reconnaît que la vente de certains nouveaux produits est « difficile », il n'en reste pas moins que le projet Mutatio a engendré de nombreuses retombées pour l'ensemble des acteurs impliqués. « Lorsque nous avons commencé nos travaux, les spécialistes tablaient sur un cours haussier du baril de pétrole. Or, on est passé de 120 à 20 dollars le baril, ce qui est juste dramatique pour les filières de recyclage qui se sont mises en place et/ou qui ont récemment investi pour ce faire. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que le recyclage, c'est l'avenir, et qu'il est toujours plus difficile, du moins dans un premier temps, d'écouler des produits révolutionnaires (les craintes existent du fait qu'il n'y a pas le recul nécessaire pour en juger les performances sur la durée). Si en plus de cela, des produits innovants sont plus chers du fait d'un pétrole à bas prix, c'est évidemment très dur (ce qui ne veut pas dire que le produit proposé n'a pas d'avenir). Il est clair qu'il faudrait que le cours du pétrole remonte au dessus des 100 dollars » ce qui faciliterait l'écoulement des produits qui résultent de ces démarches d'envergure, démontrerait plus encore le bien fondé des actions engagées ...
 

En orange : matières premières biosourcées ; en bleu, matières premières recyclées