OM : le CNR flingue la tarification incitative
La loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle Environnement prévoit que "la REOM (Redevance d'Enlèvement des Ordures Ménagères) et TEOM (Taxe d'Enlèvement des Ordures Ménagères) devront intégrer, dans un délai de 5 ans, une part variable incitative" (voir notre article). Dans un communiqué, le Cercle National du Recyclage indique avoir reçu une proposition d’article 1552 bis de loi de finances devant permettre aux collectivités locales de mettre en place une part incitative dans la TEOM. "Au vu des faibles retours d’expériences, l’intérêt d’une obligation de tarification incitative n’a toujours pas fait ses preuves et de nombreuses questions restent en suspens", indique le CNR qui dénonce une mise en oeuvre complexe et onéreuse pour un résultat non avéré...
Les adhérents du Cercle National du Recyclage (CNR) se sont réunis en groupe de travail et ont discuté de la tarification incitative. De ces échanges ressortent plusieurs problématiques concernant l’instauration d’une part incitative dans la tarification de la gestion des déchets ménagers.
D'un point de vue économique, "ce nouveau mode de financement par l’incitation aura bien évidemment un coût supplémentaire. En effet, les charges financières liées à la création et au suivi des fichiers, l’investissement dans les bacs ou les bennes pour comptabiliser la quantité de déchets produit par les usagers, s’ajouteront au montant de la gestion des déchets avant la mise en place de cette part incitative. Ce surcoût devra nécessairement être répercuté sur l’usager, qui n’aura pas ou très peu de visibilité sur le changement du service", explique le CNR. "Actuellement, les collectivités locales sont en phase de maîtriser voire de réduire les coûts du service d’élimination des déchets. L’arrivée de cette tarification inversera cette tendance".
Le projet de loi de finances prévoit que l’article 1636 B undecies soit complété par la disposition suivante : "La première année d’application des dispositions de l’article 1522 bis, le produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne peut excéder le produit total de cette taxe telles qu’issues des rôles généraux au titre de l’année précédente". La première année, les collectivités locales auront donc l’obligation de ne pas répercuter la hausse de leurs coûts. Les collectivités locales devront prendre en charge, pour la première année "en interne", les surcoûts liés à l’instauration de la part incitative ; la deuxième année, elles devront donc instaurer une plus forte augmentation. Les collectivités locales doivent s’attendre également à un transfert des coûts lié au détournement des flux d’ordures ménagères, comme l’augmentation des coûts du service propreté de la voirie pour gérer les dépôts dans les poubelles de rue et les éventuels dépôts sauvages supplémentaires.
D'un point de vue technique, au vu des retours issus des collectivités locales ayant instaurées la redevance incitative, de nombreuses interrogations subsistent dans la pratique sur la création et le suivi du fichier des usagers (qui peut être long et fastidieux et nécessite une mise à jour régulière), ou encore la gestion des impayés et des réclamations. "De plus, la tarification incitative semble extrêmement délicate à mettre en place pour la population qui loge en habitat collectif (INSEE : 43% des résidences principales sont des logements collectifs). Les quelques solutions envisagées consistant à répartir le coût des déchets de l’habitat collectif au millième ou au nombre d’habitants déconnectent le financement des déchets de la production et font perdre le peu d’incitation à mieux trier", précise le CNR.
Concernant la TEOM incitative, le délai de 3 mois fixé par le projet d’article 1552 bis de loi de finances pour les collectivités locales à fournir l’ensemble des informations nécessaires aux services fiscaux apparait comme trop court. De plus, lors des réflexions sur les mises en place, les collectivités se demandent quels types de déchets sont concernés (Ordures Ménagères Résiduelles (OMR), emballages ménagers, biodéchets ?), quelle tarification mettre en oeuvre selon les différents modes de collecte (porte-à-porte, apport volontaire, apport en déchèterie ?), ou quel est la pourcentage de part incitative à appliquer au produit total de la taxe pour chaque type de déchets.
Sur le plan environnemental, l’engagement de la mise en oeuvre de la tarification incitative est une des mesures phares en faveur de la prévention qui a été prise par la table ronde du Grenelle consacrée aux déchets. Selon le CNR, les retours d’expériences montrent que cette diminution au global n’est pas ou peu avérée. "Les flux de déchets sont pour la plupart détournés des OMR vers les lieux où la facturation est moins importante comme les déchèteries. Les quantités ne diminuent pas mais sont redistribuées. Le seul intérêt reconnu de la tarification incitative est l’augmentation des performances de collecte et non la réduction des déchets", indique l'association. "Sur certaines collectivités locales, il a été observé une légère baisse de la production de déchets au global. Cependant rien ne prouve que cette diminution soit due pour l’essentiel à la tarification incitative, car d’autres facteurs influencent très largement les quantités de déchets produites (démographie, crise...)".
En effet, il ne faut pas oublier les différents exemples de collectivités locales ayant mis en place la redevance incitative et qui évoquent des comportements déviants comme l’augmentation des dépôts sauvages, le brûlage des déchets, les dépôts des déchets par certains citoyens dans les corbeilles de rue, les poubelles du voisin ou du travail, ou dans celle d’autres communes qui n’ont pas mis en place ce type de redevance. Ces comportements liés au mode de facturation, non quantifiés pour l’instant mais existants, iraient ainsi à l’encontre des objectifs visés et pourraient réduire à néant l’ensemble des efforts réalisés depuis plusieurs années dans le domaine de la gestion des déchets.
Enfin, sur le plan politique, les citoyens s’attendent à voir leur facture diminuer s’ils produisent moins de déchets, "mais la compensation du surcoût lié au passage de la taxe incitative et la faible marge de manoeuvre sur la réelle production de déchets ne permettent pas cette baisse de charge. Au contraire, la première année, ce nouveau mode de tarification entraînera une augmentation de facturation à l’usager sans apporter de service supplémentaire", souligne le CNR. "La difficulté liée au passage de cette nouvelle tarification et à la complexité de la mise en oeuvre risque de susciter de nombreux mécontentement voire plaintes des usagers. Le passage de la TEOM à la TEOM incitative apportera son lot d’incompréhension mais restera en terme de budget très proche. Le passage de la TEOM à la redevance incitative redistribue toutes les cartes du financement de la gestion des déchets et risque de causer de très grandes différences d’une année à l’autre. Rappelons enfin que la redevance est perçue comme plus équitable alors que la taxe est perçue comme plus juste au niveau social", ajoute l'association.
En effet, il est à noter que le passage de la TEOM à la redevance incitative entraîne un changement de la nature juridique du service d’élimination des déchets : le service public administratif passe en service public industriel et commercial, et ce avec de nombreuses conséquences, dont l’obligation d’un budget annexé équilibré (excepté les 4 premières années suivant l’institution de la redevance).
On l'aura compris, le Cercle National du Recyclage est opposé au caractère obligatoire de mise en place d’une part incitative dans la tarification des déchets, indiquant n’avoir aucune preuve que cela permette de répondre à l’objectif fixé de réduire la production de déchets. "Le financement du service déchets par la tarification incitative peut être pertinent pour certains milieux mais il doit être issu d’un choix politique, éclairé par des études, et non être imposé réglementairement", précise le CNR. Pour l'association, l’incitation doit se faire en amont au niveau du consommateur et non en aval au niveau du citoyen : "C’est lors de son acte d’achat que la personne doit prendre conscience de l’impact du produit qu’elle achète et du déchet résultant de son produit, et non lorsqu’elle le jette. Pour réduire la production de déchets, la mise en oeuvre de la responsabilité élargie financièrement complète du producteur avec une information systématique et transparente pour le consommateur est beaucoup plus adaptée que la tarification incitative".