Pollueur payeur : une société chimique a payé pour le savoir
Lourdement condamnée pour pollution grave, une société chimique du nom de Synthron basée en Indre et Loir vient d'être condamnée à payer 105 000 euros d'amende auxquels s’ajoutent plus de 160 000 euros de dommages et intérêts pour avoir causé souillé la Brenne, en 2004. Pour certains, comme les associations de pêcheurs en rivière et de protecteurs de l’environnement, cette décision coule de source...
24 juillet 2008 : le verdict tombe. Le tribunal correctionnel de Tours prend une décision qui marque un tournant, aux dires des avocats Me Gérard Chautemps et Me Adrien Debré, en charge de la défense le point de vue des associations de pêcheurs et de protection de l'environnement qui avaient attaqué l'entreprise en justice.
« C'est une décision exceptionnelle, qui témoigne d'un nouveau rapport de force entre pollueurs et défenseurs de l'environnement, affirme Me Debré. Auparavant, ces derniers étaient traités avec beaucoup de condescendance. C'est en train de changer ». Le tribunal « donne une nouvelle définition du préjudice écologique. Cette décision peut faire jurisprudence », se félicite Me Chautemps.
Bon il est vrai qu’il y a récidive et que d’aucuns en ont peut être eu raz le bol. Synthron, qui emploie 130 salariés, n'en est pas à sa première condamnation pour pollution. Il y a 20 ans en effet, l'usine - alors appelée Protex - avait été partiellement détruite par une explosion qui avait accidentellement mais gravement pollué la Brenne et privé la ville de Tours de son eau potable pendant dix jours. Le responsable de l'entreprise, Robert Moor, avait prix un an de prison avec sursis. Depuis lors, l'entreprise, filiale de Protex International, a régulièrement étérappelée à l'ordre par l'administration pour non-conformité (stockage désordonné de bidons contenant des déchets dangereux, sacs éventrés, sols recouverts de produits chimiques, etc.).
2008, pendant le week-end du 17 au 19 juillet 2004, des effluents contenant des produits chimiques largement au-dessus des seuils autorisés ont été rejetés dans le cours d'eau, entraînant une pollution sur plusieurs kilomètres, dégageant une odeur très irritante et entraînant une coloration bizarre, genre rouge brun. Inutile de confirmer que des centaines de petits poissons se sont retrouvés ventre en l'air et que, la faune comme la flore aquatique, qui avaient fait l'objet d'une politique de restauration après la pollution de 1988, ont été à nouveau été mises à mal. Si l'on ajoute à ce triste palmarès que la pollution n'a pas été signalée à l'inspection des installations classées, dont l'usine - classée Seveso 2 - relève, on peut en déduire que tout semble avoir été fait pour que l'événement soit connu le plus tardivement possible.
C'est sans doute ce que le juge a pensé, d'où la sévérité de la décision à l'encontre de l'entreprise et de son directeur, qualifié de « patriarche industriel à l'ancienne à qui tout ce qui est important est soumis ». Le juge relève « un manque de personnel en nombre et en compétence dénoncé par les employés eux-mêmes » et note que, pour justifier ses manquements, « la société se retranche assez lamentablement derrière des contraintes de temps, de délais et de budget alors qu'elle appartient à un groupe d'implantation mondiale» .
L'innovation principale du jugement tient dans sa définition du préjudice écologique subi par la Brenne, « rare rivière du département classée en première catégorie, à la fois pour le milieu aquatique et les espèces ». La réparation des dommages « ne peut prendre en compte seulement les critères traditionnels » (nombre de kilos de poissons morts, nettoyage de la rivière, information du public), mais doit aussi considérer « une dimension plus subjective, qui tient à la nostalgie paysagère et halieutique, à la beauté originelle du site, à l'âme d'un territoire ». Autant de considérations qui, selon les juges, entrent dans les préoccupations des rédacteurs de la loi sur l'eau d'avril 2004 et de la directive sur la responsabilité environnementale, transposée en droit français par une loi adoptée le 22 juillet.
A la suite de quoi, il conveint de mettre en lumière le mode de calcul retenu par le tribunal pour déterminer le montant de l'amende et des dommages intérêts. Les juges ont retenu une méthode qui conjugue plusieurs éléments : la valeur de l'habitat détruit, soit le coût nécessaire pour reconstituer un milieu assurant le cycle biologique des poissons ; l'intérêt patrimonial du site (nombre d'espèces protégées ou remarquables détruites) ; le coefficient d'irréversibilité, c'est-à-dire l'aptitude du milieu à revenir à son état initial ; et la perte de fonctionnalité du milieu (la production biologique du site pollué comparée à celle d'une zone non polluée).
On aboutit ainsi à la somme de 138 730 euros. Le préjudice économique subi par la Fédération de l'Indre-et-Loire pour la pêche (perte d'image, baisse du nombre de cartes de pêche, travaux de réaménagement de la rivière) a été évalué à quelque 300 000 euros. « Vu le fait que "les collectivités locales et l'Etat - et donc les contribuables - sont obligés d'investir préventivement en raison du danger que constitue l'activité tourangelle de Synthron », le tribunal a également ordonné la publication de la condamnation dans la presse régionale et spécialisée.