Protection de l'environnement : Des enjeux économiques à la clé
L’expression développement durable est moins explicite que le développement soutenable, c’est à dire supportable du point de vue des équilibres économiques naturels présents et à venir.
En simplifiant on peut dire qu’en une quarantaine d’années, on est passé de la phase d’alerte à la phase de la mise en œuvre (plus ou moins rapide selon les métiers et les pays) de réglementations plus nombreuses que celles qui existent depuis longtemps dans les pays industriels.
Tel est, en substance, le message qu’a tenu à faire passer Michel Drancourt, économiste, auteur récent de l’ouvrage « Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel… Donc il faudra beaucoup de forêts »…
Il était une fois le risque nénuphar…
Le risque nénuphar…, est l’image lancée à l’occasion du club de Rome à la fin des années 60 sur les limites de la croissance. Un nénuphar dans un étang double de surface tous les jours. Sachant qu’il faut trente jours pour couvrir un étang, quand en aura-t-il couvert la moitié, dernière étape pour agir ? Evidemment le 29ème jour. Nous sommes au 29ème jour des excès de la croissance, disait le Club de Rome…
Je rappelle dans les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel que 2% de croissance mondiale par an conduit à doubler le produit mondial en 35 ans, à la multiplier par 7,2 en 100 ans. Au-delà, on tombe rapidement dans les coefficients inimaginables. Il faut donc de la croissance. Encore faut-il en faire évoluer la nature…
Les Nations Unies se saisissent de la question en 1972 à Stockholm et les travaux débouchent 15 ans plus tard sur le rapport Bruntland et la notion de développement soutenable, « celui qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Depuis, des actions de nombreux pays développés tendent à réduire les pollutions et mieux utiliser l’énergie ou les matières premières. Des réunions internationales auxquelles participent désormais des entreprises ont pour ambition de faire des précautions souhaitables des exigences légales.
On peut évidement se demander si on n’est pas là en face d’un nouveau dirigisme dont les excès peuvent être aussi dommageables que le contrôle des prix ou des changes. Mais c’est un problème qui mériterait à lui seul un colloque. Disons simplement que pour éviter le risque de dirigisme contraignant, les firmes ont intérêt à mettre au point, en commun des normes environnementales au lieu de se les faire imposer.
Et les héritiers de Pigou…
Arthur Cécil Pigou a ouvert la voie en 1920. Le calcul économique de l’entreprise, doit, selon lui, prendre en compte le coût social de son activité. Il faut donc comptabiliser l’usage des ressources environnementales et taxer l’entreprise en conséquence. De là, date la notion de pollueur payeur.
Encore faut-il disposer des outils permettant de mesurer la valorisation des actifs naturels.
Il convient d’en déterminer le prix implicite (la valeur) afin de mieux gérer leur usage, de pouvoir évaluer le bénéfice social de leur protection ou le coût de dommages en l’absence de protection. Ensuite, quels sont les outils de régulation permettant de corriger les comportements des individus ou des firmes (normes, taxes, permis, négociables) afin qu’une certaine qualité de l’environnement soit atteinte au moindre coût pour le passé?
S’ajoute à ces recherches la prise en compte du principe d’équité entre les générations qui est une forme d’investissement sur l’avenir.
Les économistes doivent, à partir de là, essayer de donner « un prix » à des actifs naturels qui n’en sont pas puisqu’ils font l’objet de transactions sur un marché. Différentes techniques permettent cependant de construire des indicateurs de valeur équivalent à leur prix. On cherche à savoir par l’observation des comportements ou en interrogeant les gens, sur ce qu’ils sont prêts à payer pour éviter la dégradation de l’environnement ou obtenir une certaine qualité de l’air, du paysage, de l’habitat…
Cette manière de faire est-elle pertinente ?
A la suite de la marée noire créée par l’accident de l’Exxon Valdez en Alaska, l’administration américaine a demandé à un groupe d’experts présidé par les économistes Arrow et Solow de vérifier le bien fondé de ce type d’évaluation dans l’estimation des dommages. La réponse a été positive sous condition de préciser la méthode.
Cet effort d’appréciation de la valeur que la société attribue aux actifs naturels, y compris la santé humaine, se poursuivent et ouvrent la voie à une comptabilité nationale ou mondiale élargie (qu'on appelle parfois comptabilité verte , celle-là même que souhaitent les promoteurs du « développement humain »).
Cette recherche se traduit dès à présent par un ensemble de mesures, notamment sous formes de taxes pour corriger les pollutions, de normes pour les éviter ou les réduire et plus récemment de permis négociables de « droits à émettre », des firmes pouvant négocier ces droits avec d’autres qui polluent moins qu’elles dès lors que le total ne dépasse pas les quantités globalement autorisées.
Ce système a notamment été adopté par l’administration américaine pour réduire, à partir de 1995, de 40% les rejets de dioxydes de soufre. Il n’exclut ni les normes, ni, si nécessaire, les taxes, ni surtout la recherche de productivité. Il ne règle pas tous les problèmes, tant s’en faut, mais illustre la possibilité de mettre les techniques économiques au service de l’environnement.
La recherche économique ne concerne pas seulement les questions de pollution. Elle s’intéresse aussi aux allocations des ressources naturelles dans le temps.
Le choix des outils correcteurs de risque engendré par l’effet de serre (par exemple) doit évidemment se faire au niveau international. Tous les pays n’en ont pas la même approche. Les Etats-Unis misent sur les normes et les efforts volontaires, plus ou moins encouragés par des systèmes comme celui des « droits d’émission ». La Communauté Européenne a une préférence pour les taxes. De grands pays en développement demandent d’avoir atteint un certain niveau de vie pour accepter ces disciplines, ce qui risque de créer des distorsions graves de concurrence.
Mais finalement, à plus ou moins long terme, ce sera toujours au consommateur de supporter les coûts. C’est là que se joue la partie qui relève plus du politique que de l’économie. L’économie n’intègre vraiment les exigences de l’environnement qu’au fur et à mesure qu’une majorité de personnes prend conscience de la réalité des enjeux.
Comme toutes les notions dont il vient d’être question ne sont pas encore entrées dans la comptabilité officielle, l’approche à la Pigou peut paraître utopique. J’aurais plutôt tendance à dire qu’elle est « réaliste ».
Le droit lui-même devra intégrer les facteurs liés à l’environnement.
Dernier exemple en date : les quotas d’émissions de CO2, qui donnent lieu à un marché d’un type nouveau, créés par la direction européenne du 2 juillet 2003, n’entrent dans aucune catégorie juridique connue existant à l’heure actuelle en doit français. Ils constitueront, en l’état actuel, un instrument sui generis. Si les pays européens ne se mettent pas d’accord que la qualification juridique, il y aura disharmonie dangereuse pour les entreprises européennes en terme de concurrence (voir à cet égard, les Echos du 11 septembre dernier).
Comment se traduisent les concepts dans les faits et les applications ?
En matière d’intégration des coûts annexes, l’un des exemples les plus frappants est celui des terrains industriels.
Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, la législation en ce domaine est devenue drastique. En France, elle tend à le devenir. Or, il y a en France plus de 300 000 sites ayant hébergé ou hébergeant des sites industriels dont de très polluants. En dépit des trucages juridiques, les pollueurs du type Metaleurop seront un jour poursuivis…
En sens inverse, il faut rappeler que dès le XIXème siècle, le remplacement de la fabrication de carbonate de soude selon la méthode Leblanc par la méthode Solvay de soude à l’ammoniaque a permis de réduire considérablement les pollutions. Le choix des méthodes grâce à des progrès techniques peut donc être un investissement doublement rentable : sur le plan de la productivité et sur celui de l’écologie.
Autre exemple qui touche les industries et notamment celle des traitements de déchets : le coût réel pour la collectivité des transports et de l’énergie dépensée à cette occasion. On sait que des bilans complets sont souhaitables. Ils s’imposeront. Autant aller au devant.
Incidemment, on n’a jamais fait la vraie comptabilité des flux tendus. Ils sont positifs pour les entreprises. Mais on sait en Europe que la poussée des transports qui en résulte coûte et coûtera fort cher. La comptabilité globale reste à faire.
Un bon exemple d’approche de ce type de question est celui de l’aluminium : on sait que le recyclage de l’aluminium exige seulement 5% de l’énergie de sa fabrication à partir du bauxite.
Il deviendra de plus en plus nécessaire de procéder à ce type de comptabilité et de la nourrir par l’analyse des cycles de vie des produits.
On le fait désormais pour l’automobile, puisque 80% de composants entrant dans sa fabrication devront être récupérables. On ne la fait pas vraiment encore pour les composants entrant dans l’équipement informatique (dont on sait qu’ils sont « coûteux » en écologie). Je ne parle même pas des sacs en plastique puisqu’une course de vitesse paraît engagée entre les chaînes de grandes surfaces pour aborder enfin la question de leur traitement.
Dans le domaine de la gestion des déchets, les entreprises concernées, mais aussi et plus encore les collectivités locales et nationales, doivent mener des actions d’informations pour convaincre l’opinion de l’importance du traitement des déchets et de son coût réel. Toutes les subventions, notamment à la collecte sélective, peuvent faire croire qu’il suffit que l’Etat, c'est-à-dire le contribuable, passe à la caisse, pour résoudre le problème. Or, pour les déchets, comme pour toutes les activités les coûts sont et finiront par être couvert par les consommateurs. L’idée que le payeur est exclusivement l’éventuel pollueur visible est absurde.
La gestion des déchets est, en France, en retard sur les réalités.
Sans actions massives et urgentes, les trois quarts des départements seront envahis par les déchets dans moins de dix ans (selon un rapport récent du commissariat au plan). Tous ceux et toute scelles qui défilent avec force cris et banderoles sous des prétextes divers pour s’opposer aux traitements industriels des déchets ont-ils conscience de contribuer à un surcroît de pollution, de coût, en retardant des projets essentiels.
Cela étant, les entreprises concernées et leurs syndicats ont à valoriser leur action. Elles peuvent montrer, exemple à l’appui (y compris celui de Kalunborg qui est à multiplier), que l’imagination, l’organisation et surtout la R&D, les progrès techniques (par exemple en matière de fumées) sont le véritable moyen de surmonter ces défis.
Reste l’essentiel, pour les entreprises, qui est la rentabilisation des actions à mener…
Certaines peuvent déboucher sur des résultats rapides, par exemple lorsqu’elles permettent des économies d’énergie. Mais la plupart des investissements à long terme dont la rentabilisation est incertaine si les contrats ne sont pas garantis durablement. Or, il faut savoir que contrairement à ce qu’il se dit, les gouvernements et les responsables politiques sont plus préoccupés par l’horizon électoral que la prospective du développement durable.
D’où la nécessité là encore d’en faire un thème d’information, notamment auprès des grands prescripteurs que sont les enfants, les enseignants, sans oublier les journalistes et hommes politiques en espérant qu’ils veuillent écouter et s’informer vraiment plutôt que de décider au gré des humeurs d’une opinion travaillée par des courants divers…