Quand l'impossibilité de valoriser les déchets donne envie de ruer
Chose promise, chose due, dit-on parfois. Et bien, ce 23 février, le Président de la République s'exprimait sur le sujet et annonçait un plan métha. « Malgré une accélération ces deux dernières années, le développement de la filière méthanisation en France reste pour l’instant relativement lent, notamment comparé à nos voisins d’Outre-Rhin »... « Aujourd’hui c’est beaucoup trop compliqué, ça vous prend beaucoup trop de temps » a reconnu le chef de l’État aux agriculteurs. C’est pourquoi, en plus du fond annoncé (avec Bpi France ), un plan de réforme des règles applicables aux installations de méthanisation sera tout bientôt programmé ; il fera notamment suite aux recommandations du groupe de travail sur la méthanisation lancé par le secrétaire d’État Sébastien Lecornu ...
Bonne nouvelle, pour le coup : afin d'éviter que son histoire ne devienne un cas d'école, l'exécutif a en effet confirmé la semaine dernière juste avant l'ouverture du Salon de l'agriculture, la création d'un "fonds de prêts" de 100 millions d'euros, alors que le groupe de travail piloté par Sébastien Lecornu, dédié à la méthanisation, doit rendre ses conclusions le 26 mars.
Retour sur le parcours d'un combattant... C'est en 2005 que Laurent Paquin, encarté à la FNSEA, s'associe à 25 confrères pour construire un méthaniseur. Après plusieurs années de déconvenues et d'abandons, à cause d'une réglementation encore partielle, le groupe trouve le terrain idéal mais se heurte à des "refus systématiques de la mairie" durant trois mois, à cause d'inimitiés personnelles.
Plutôt que d'entamer une bataille judiciaire, les agriculteurs préfèrent repartir de zéro et un nouveau projet voit le jour. Sauf qu'au moment d'investir, plusieurs paysans, échaudés par les revers successifs, jettent l'éponge. Les membres du groupes étaient peut être trop nombreux, ce qui pouvait générer plus facilement des désaccords. Qu'à cela ne tienne : on reprend les mêmes mais pas tous, et on recommence afin d'aboutir la finalisation du projet...
« C'est là que les emmerdes ont commencé »... Un courrier les informe qu'ils doivent réaliser un diagnostic archéologique, avec un délais d'attente compris entre quatre et six mois pour une journée de fouilles là où il n'y a "rien à trouver", selon la responsable du chantier.
A la suite de quoi, « il a fallu presque huit mois pour obtenir le permis de construire » se souvient notre homme... A cette époque, Enedis leur signale qu'un des poteaux auquel ils souhaitent se raccorder est pourri et que c'est à eux qu'il incombe de payer son remplacement. Pour des raisons « pratiques », la filiale d'EDF « souhaite raccorder le méthaniseur avec deux câbles au lieu d'un, doublant la facture qui passe à 100.000 euros ».
La coupe peu à peu se remplit d'amertume car le constructeur décide d'abandonner le projet : « nous n'avons toujours pas compris pourquoi », s'exaspère Laurent Paquin qui précise qu'il « attend encore le remboursement des 11 000 euros versés »... Le temps passe et on va faire l'impasse de plusieurs étapes tout aussi désarmantes, afin de livrer plus rapidementles derniers rebondissements.
Mars 2017 : une nouvelle tentative est lancée. Entre-temps, le groupe a mûri son projet et souhaite concentrer le digestat, en extrayant l'azote liquide et l'eau déminéralisée. « On ne voyait que des avantages à ce système-là, aussi bien d'un point de vue économique, qu'environnemental...
Sauf que … chou blanc ! Encore ! Lorsqu'ils exposent la teneur du projet à la direction régionale de l'Ademe, celle-ci les informe qu'elle ne pourra pas donner suite (traduire par : impossible de verser la subvention) , pour le process choisi... Et paf : 130 000 euros en moins pour mener le projet à bien, ça fait mal... et ce d'autant plus que dans d'autres régions, c'eut été possible...
Après d'âpres négociations, Laurent Paquin a fini par obtenir gain de cause... Mais « quelle perte de temps » !... D'autant que ce n'est pas terminé...
Afin de s'assurer qu'ils pourraient rejeter l'eau déminéralisée, l'agriculteur a ensuite eu affaire à différentes agences, chacune « se renvoyant la balle et peinant à trouver la réponse »... la Direction départementale de la protection des populations ayant même fini par lui asséner que « l'eau sera "trop propre" et qu'elle fragiliserait la biodiversité ». Par chance, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement parvient à trouver une solution en lui conseillant d'installer un bac avec des cailloux pour "reminéraliser" l'eau avant de la rejeter.Bre : « tout se fait à l'arrache », poursuit l'homme qui avait un projet... dès 2005, indiquant aussi qu'il a parfois « l'impression de flirter avec la légalité pour avancer »... « C'est à nous, agriculteurs, de réaliser une synthèse impossible à faire », militant pour « l'instauration d'un référent unique, mais spécialisé dans la méthanisation ».
Dernière péripétie en date: le cabinet d'études les a avertis qu'avoir l'entreprise enregistrée dans une commune et le projet de méthaniseur dans une autre risquait de freiner le raccordement, qui peut prendre jusqu'à 18 mois. « Nous avons donc enregistré un établissement secondaire, là où nous allons construire le méthaniseur, soit en plein milieu du champ ». Problème... et Ouiiii, encore Un : l'enregistrement ne peut s'effectuer qu'un mois maximum avant le démarrage de la production.
Qu'à cela ne tienne, le groupe déclare officiellement le lancement de la production. « De quoi? De rien! Aujourd'hui, nous avons deux numéros de SIRET, mais pas un litre de méthane qui sort! », conclut Laurent Paquin, qui escompte un démarrage réel début 2019. Du moins, il ose (encore) le croire... Ce serait presque drôle si c'était inventé ; il n'en est rien : c'est la triste réalité des méandres et autres complexifications de ce qui pourrait être beaucoup plus simple et surtout facilement compréhensible...