Recyclage agricole des déchets : quels risques pour les cultures ?
Les déchets organiques sont de plus en plus fréquemment recyclés comme engrais et amendement dans les champs maraîchers. Ils améliorent les propriétés physiques des sols, réduisent le ruissellement et l'érosion, augmentent les quantités de carbone organique et autres éléments majeurs, tout en réduisant l'usage des engrais minéraux et en augmentant la biomasse et l'activité microbiennes. Mais ils peuvent aussi avoir un impact néfaste sur les cultures et l'environnement, du fait de la présence de composants potentiellement toxiques : les éléments traces métalliques. Une équipe du Cirad et du Cerege (Interfast), en analysant toute une gamme de déchets organiques, a déterminé leur composition en éléments toxiques et cherché à en expliquer l'origine...
L'épandage des produits résiduaires organiques d'origine agricole, urbaine et agro-industrielle est une pratique agricole répandue qui permet de remplacer tout ou partie des intrants chimiques conventionnels. Au-delà des bénéfices économiques et agronomiques de cette pratique, il convient de s'assurer qu'elle n'entraîne pas d'inconvénients pour le milieu cultivé. En effet, ces produits, en raison de leur mode de production notamment, peuvent être riches en éléments traces métalliques et leur épandage peut à terme contaminer le milieu cultivé. Si de nombreuses études se sont intéressées aux concentrations en éléments traces métalliques des produits résiduaires organiques, peu d'entre elles ont tenté d'expliquer l'origine de ces concentrations. Une équipe du Cirad (Centre international en recherche agronomique pour le développement) et de l'université d'Aix-Marseille, en analysant les teneurs de ces éléments dans toute une gamme de déchets organiques, a étudié l'influence de 3 facteurs : la taille de la ville ou de l'exploitation agricole à l'origine des produits, leur origine géographique et leur type de production.
Les produits résiduaires analysés proviennent du Sénégal, de Madagascar et de France (Yvelines et Réunion). Leur origine est soit urbaine (compost de déchets municipaux, criblé de décharge, compost de déchets verts et boue de station d'épuration), soit agricole (fumier, litière, lisier et déchets d'abattoir). Ces déchets organiques se caractérisent par une distribution asymétrique de leurs concentrations en éléments traces métalliques, certains déchets ayant des teneurs extrêmement élevées en éléments traces métalliques. C'est le cas des déchets provenant de grandes villes ou de fermes industrielles. Ces déchets ont aussi pour particularité de présenter une très large gamme de concentrations pour un même élément. Pour le plomb, par exemple, la concentration par kilo de matière sèche varie de 0,6 mg, pour le compost de litière de volaille, à 1 300 mg, pour le criblé de décharge.
Les concentrations les plus élevées en éléments traces métalliques sont relevées dans les criblés de décharge de Madagascar et du Sénégal. Leurs concentrations en plomb, en particulier, sont extrêmement fortes. "Mais l'origine géographique des produits ne peut, à elle seule, expliquer ces concentrations puisque ce sont aussi des déchets provenant de pays du Sud qui présentent les teneurs les plus faibles en plomb", note le Cirad. Pour information, les éléments traces métalliques sont des éléments chimiques ubiquistes présents à la surface de la Terre à des concentrations inférieures à 0,1%. La plupart d'entre eux sont à la fois des oligoéléments et des éléments toxiques. Autrement dit, ils sont indispensables aux processus vitaux, mais peuvent devenir toxiques dès que leur concentration dans l'organisme dépasse un seuil, qui varie en fonction de la nature de l'élément et de l'organisme considéré. Ils peuvent provoquer de graves problèmes de santé s'ils s'introduisent dans la chaîne alimentaire, d'autant qu'ils ne sont pas dégradables et s'accumulent dans l'environnement. Les activités humaines (agricoles, industrielles et urbaines) peuvent entraîner l'accumulation de ces éléments en quantité telle que leur présence devient dangereuse pour les organismes vivants et l'environnement.
Les chercheurs ont également tenté d'identifier les corrélations entre les éléments traces métalliques et les éléments majeurs présents dans les produits résiduaires organiques. Ils ont ainsi distingué 3 groupes de produits, non pas en fonction de leur origine géographique, mais plutôt en fonction de l'origine des contaminants. Le premier est caractérisé par des produits pauvres en éléments traces métalliques ; le deuxième est composé de produits riches en cadmium, cuivre, nickel, zinc et soufre ; le troisième est riche en chrome et en plomb, et pauvre en carbone :
Les déchets organiques du premier groupe sont issus d'exploitations de petite taille, au sein desquelles les aliments pour les animaux ne contiennent pas d'additifs. C'est pourquoi ces déchets sont relativement pauvres en éléments traces métalliques.
Pour le deuxième groupe, les produits résiduaires sont essentiellement des boues de station d'épuration et des déchets agricoles d'exploitations de grande taille. L'alimentation des animaux y est enrichie en cuivre et en zinc, ce qui explique les concentrations trouvées dans ces produits, qui restent toutefois inférieures aux valeurs seuils fixées par la réglementation européenne pour l'épandage agricole des boues de station d'épuration.
Enfin, le troisième groupe est composé de 2 criblés de décharge (Sénégal et Madagascar) et d'un compost de déchets verts (Réunion). Ce dernier se caractérise notamment par des concentrations en chrome et en nickel élevées, qui peuvent s'expliquer par la présence de fortes concentrations naturelles de ces 2 éléments dans les sols de l'île. Les criblés de décharge, quant à eux, présentent des concentrations élevées en cadmium, cuivre, plomb et zinc, qui s'expliquent par la composition des déchets déposés en décharge : plastiques, papiers, batteries usagées, déchets industriels, entre autres.
Les produits résiduaires organiques sont aussi hétérogènes du point de vue granulométrique. Pour compléter leur caractérisation, les chercheurs ont étudié la répartition des éléments traces métalliques dans différentes fractions granulométriques. Ils ont ainsi constaté que le cadmium, le cuivre, le zinc et le plomb s'accumulent dans les fractions à granulométrie fine, tandis que le chrome et le nickel se retrouvent dans les fractions plus grossières. "Dans une réflexion sur le recyclage et l'utilisation des déchets organiques, il est désormais indispensable de tenir compte de la multiplicité des produits et de la diversité des localisations et des usages, mais aussi de disposer d'outils pour évaluer leurs modes de gestion, quantifier les avantages de leur recyclage, mais aussi les risques qu'il peut présenter. C'est à cette condition que le recyclage des produits résiduaires organiques permettra d'augmenter la production agricole sans risque pour l'environnement et la santé", conclut le Cirad.