Recyclage textile : on est dans de beaux draps !
Certains pourront aller se rhabiller quand d’autres pourront se flatter de bénéficier d’un modèle d’éco-organisme taillé sur mesure… Toujours est-il que ça y est : un arrêté du 17 mars paru au Journal officiel du 25 mars attribue l’agrément à la société Eco TLC (textile, linge et chaussures) pour la gestion du recyclage des déchets textiles. A n’en pas douter, il s’agit là d’un pas de plus pour organiser la nouvelle version de la collecte et du recyclage textile… Sauf que le modèle n'est pas du goût de tout le monde, loin s'en faut!
Il y a trois ans, on affichait la volonté de mettre en oeuvre la responsabilité élargie du metteur sur le marché quant à la fin de vie des textiles d’habillement, du linge de maison et des chaussures. La loi de finances 2007 est amendée et fixe au 1er janvier 2007 la date à partir de laquelle les metteurs sur le marché devront s’acquitter d’une éco-contribution, ceci afin de participer financièrement à la gestion des déchets textiles et chaussures arrivées en fin de vie. Un décret d’application a été publié il y a presque un an afin de fixer les règles de fonctionnement de la filière ; le 17 mars dernier, un arrêté attribue l’agrément à la société Eco TLC.
Depuis, certains sont dans l’attente des petits sous qui ne manqueront pas de tomber. D’autres considèrent au contraire, qu’il y a erreur et posent la question, de savoir « de qui se moque-t-on »…
D’aucuns prétendent en effet, que la récupération et le recyclage textiles traversent une crise endémique et ce depuis plusieurs années. Et quand on annonce que la filière embauche près de 3 000 personnes, il y a de quoi s’alarmer, en effet.
Les arguments ne manquent pas…
Le vêtement pas cher vieillit vite et mal, ce qui, évidemment ne facilite pas la revente sous forme de fripes
Et puis la fripe de belle qualité, est parfois à peine moins cher que le vêtement neuf, ni fait ni à faire, qui arrive de l’autre bout du monde ; mais il est neuf et séduit davantage que la seconde main…
Le textile usagé est désormais souvent en fibres mélangées ou en synthétique pur, ce qui ne garantit pas l’absorption nécessaire pour en faire du chiffon d’essuyage
Et puis, la collecte en containers est moins clean que celle pratiquée en porte à porte.
Et puis et puis et puis…
Autant d’arguments qui justifieraient, selon certains, la mise en place d’un éco-organisme…
Cela étant : il est bon de rappeler que dans le domaine en question, il y a des entreprises classiques et d’autres qui pratiquent la réinsertion sociale, un peu, beaucoup ou passionnément, comme Le Relais. Deux philosophies, deux façons de faire, deux types de structures juridiques et de réglementations en vigueur confrontent donc des points de vue divergents.
Il est bon aussi, de rappeler qu’avant la naissance de ces entreprises d’un genre nouveau, les récupérateurs de textiles organisaient la récupération via des associations comme les Paralysés de France, la Croix rouge, et d’autres encore, qui collectaient en porte à porte grâce à l’action de bénévoles ; ces associations se faisant payer au tonnage récupéré.
A cette époque qui n’est pas si lointaine, il y avait comme sur tous les marchés cycliques, des hauts et des bas mais cela faisait partie du jeu et était admis par les professionnels…
Mais un jour, d’aucuns ont donc eu l’idée de créer des entreprises ou associations de réinsertion et aussi de conteneuriser la collecte : pour ce faire, on travaille main dans la main avec les collectivités locales, on implante des conteneurs au logo des entreprises en question. Des conteneurs implantés sur le territoire de la collectrivité et dont la gestion laisse parfois à désirer...
Bref : c'est le début d'une nouvelle ère ; exit les Paralysés de France et autre Croix Rouge…
On nous explique alors que la réinsertion, c’est bien. Ce dont nous ne doutons pas.
Et aussi que les récupérateurs ne collectant pas tout les textiles usagés, il y a en a pour tout le monde. Sauf que dans ce cheminement intellectuel, on oublie évidemment une notion essentielle qui est celle du débouché des produits collectés et triés, lequel passe par l’indispensable qualité du produit récupéré.
Le temps passe, encore : et on s’aperçoit que le textile usagé non recyclé est un déchet à la charge de la collectivité, que la collecte en conteneur est moins qualitative que celle en porte à porte : bref on redécouvre la lune.
Ce qui justifie que l’on mette sur pied un petit éco-organisme de plus, avec, en prime, une petite éco-taxe de plus…
Le « modèle » français ne fait d’ailleurs pas l’unanimité : ni en France, ni à l’international (voir notre rapport)
Interrogé sur ce point, un professionnel accepte de nous parler sans ambages : "Eco-Textiles, c’est la mort de notre profession bien organisée par Le Relais, Emmaüs et les intérêts de certains parmi les professionnels traditionnels.
Il n’y a aucune logique économique dans ce modèle puisque ceux que je viens d'évoquer viennent chercher des subventions et rien d’autre ! Il faut avoir le courage de dire et dénoncer ce qui est en train de se passer", proclame notre interlocuteur.
"On risque de retrouver un jour des cadavres dans le placard … On veut en effet collecter 300 000 tonnes quand on a des difficultés à en écouler 120 000 tonnes par an : cherchez l’erreur"…
Federec confirme qu’en 2006, 106 000 tonnes de vêtements, linges de maison et chaussures ont été collectées en France (soit environ 1,7 kilo par habitant sur un gisement évalué à 11 kg/hab) contre 150 000 tonnes en 2001.
Sur ces 106 000 tonnes, 61 000 sont triées en France : ces textiles sont convertis en fripes (de moins en moins, à cause de la mauvaise qualité et de la concurrence de vêtements peu chers), en fibres, en tissus pour l’essuyage industriel, ou en feutres; et environ 14 000 tonnes sont considérées comme du rebut de tri et le plus souvent incinérées.
Pour ceux qui auront le bénéfice de tirer leur épingle du jeu, deux formes de soutien aux opérateurs de tri sont prévues: l’un dit de soutien aux tonnes pérennisées (69 euros par tonne), l’autre aux tonnes développées (50 €/t en plus des 69 €). Ce dernier étant modulable. Pour recevoir la totalité des 50 € supplémentaires, l’opérateur doit avoir développé l’emploi d’insertion à hauteur d’au moins 15% de ses effectifs. Pour voir la couleur des pépettes, les entreprises de tri devront prouver qu’elles valorisent 70% des textiles qu’elles trient, hors valorisation énergétique. Les contributeurs, eux, devront verser 0,7 à 0,8 centime par pièce mise sur le marché.
Le tout étant bien entendu un ordre de grandeur moyen qui n’est pas incompatible avec des variations…
En mai prochain, un réseau extranet pour les contributeurs sera mis en place, permettant ainsi de procéder à la facturation.
Pour ce qui est de l’effet rétroactif, rien pour l’heure n’est clairement déterminé. Du côté du relais, on e se cache pas et espère un premier versement au titre de l’année 2007 au cours du premier semestre 2009, puis un second au titre de l’année 2008 au second semestre 2009.
Du côté de l’éco-organisme, on n’est moins enclin à cette vision des choses…
Qu’on se rassure : une partie des sommes prélevées sera affectée à la R&D afin de trouver de nouveaux débouchés et mettre l’accent sur l’éco-conception des produits.
Les collectivités locales ne seront pas en reste, puisqu’une part du butin sera dédiée à la communication qu’elles mettront en œuvre sur le tri des textiles. Pour autant qu’on se le dise : les collectivités ne sont pas nécessairement ravies de la façon dont les choses se mettent en place…
Pour l’instant donc, tout le monde n’y trouve pas son compte …
Une bataille de chiffonniers des temps modernes serait-elle en vue ?