Séisme Japon : le problème des déchets post-catastrophe
Les catastrophes climatiques, géologiques ou anthropiques produisent en quelques secondes, heures, ou jours des volumes de déchets tels que les institutions sont incapables de les traiter avec les moyens ordinaires. La rupture des "lignes de vie" (c'est-à-dire l’eau, l’électricité, ainsi que les voies de transport et de communication) plonge les survivants dans un désarroi profond. "L’accumulation de gravats et de déchets aggrave le choc des populations et diffère les premiers pas du retour à la normale", souligne l'association Robin des Bois...
Les 3 millions de tonnes de gravats produits par le séisme de Los Angeles en janvier 1994 ont été l’occasion pour la ville de consolider et de décupler ses capacités de recyclage. Des sites prévisionnels de transit et d’élimination des déchets pour les séismes à venir ont été présélectionnés. Le séisme de Kobé en janvier 1995 a produit 18 millions de tonnes de gravats. 2 millions de tonnes de bois ont été récupérées ; une partie des 11 millions de tonnes de béton a servi au remblaiement de la baie d’Osaka. En août 1999, le tremblement de terre de Marmara en Turquie a produit entre 13 et 18 millions de tonnes de déchets. Suite à cela, le gouvernement a préconisé dans l’attente des évènements analogues la désignation anticipée des stations de transit et de stockage des déchets et la planification des filières de recyclage.
Le 11 septembre 2001 a produit à New-York 1,2 million de tonnes de déchets de démolition, plus qu’une année moyenne dans l’état de New-York. Fin août 2005, Katrina a produit 90 millions de tonnes de déchets en Louisiane, en Alabama et au Mississipi. Sur l’île de Sumatra, au bout de 3 ans de collecte après le tsunami de décembre 2004, 1 million de m3 de déchets de démolition et 90 000 tonnes de déchets ménagers ont été stockés en décharge. 17 000 tonnes de bois ont été recyclées en meubles et charpente. Les déchets ont été ramassés à la main et à la brouette.
Le contexte est radicalement différent après le séisme et le tsunami qui viennent de ravager le nord-est du Japon. Plus un pays est riche, plus les déchets post-catastrophe sont diversifiés, mélangés, considérables et toxiques. Des centrales thermiques au fioul et au charbon, des usines agro-alimentaires, des stockages de fioul, des entrepôts, des complexes portuaires, des chantiers navals, des serres agricoles, des établissements piscicoles, et des stations d’épuration ont été dévastés. Le tremblement de terre a ouvert des citernes et des conteneurs, le tsunami a répandu sur les sols terrestres puis en mer des pollutions diffuses d’hydrocarbures, de PCB, de pesticides, de peintures, de médicaments et d’autres toxiques.
Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le Japon produit chaque année "normale" 60 millions de tonnes de déchets de démolition. Le cataclysme qui frappe aujourd’hui le pays pays va submerger les filières disponibles, d’autant que les utilisations des gravats pour créer des emprises maritimes ou des îles artificielles vont évidemment être freinées pour des raisons de sécurité et de protection des populations et des installations industrielles. Le "Construction Material Recycling Act" promulgué en mai 2000 oblige le secteur japonais des BTP à trier et à recycler les déchets de démolition. Il est peu probable que cette injonction puisse dans les circonstances actuelles être respectée. Déjà 70% des 2 670 décharges illégales répertoriées sur le territoire japonais proviennent des déchets du bâtiment.
Un autre point critique concerne les ordinateurs, climatiseurs, machines à laver et réfrigérateurs regroupés dans l’"Electric Household Appliance Recycling Law" de 2001. Cette loi rend obligatoire la collecte et le recyclage des appareils électriques obsolètes. On peut rationnellement évaluer que les 73 000 bâtiments détruits plus la flottille de pêche dévastée en ont produit 1 à 2 millions. En France les éco-organismes dédiés aux D3E (ou DEEE) doivent conformément à leur cahier des charges se charger de leur collecte et de leur élimination après des catastrophes naturelles. Ils en sont cependant exemptés si les déchets de ce type sont contaminés par des substances extérieures comme les hydrocarbures ou les radionucléides.
A supposer que les déchets de plastique, les VHU (Véhicules Hors d’Usage) et les autres métaux soient regroupés, le Japon aura des difficultés à les exporter comme il le fait d’ordinaire vers la Chine, la Corée du Sud et Taïwan à cause des suspicions de contamination par des poussières radioactives. En son temps, l’exportation en Asie de 125 000 tonnes de charpentes métalliques extraites des gravats du World Trade Center avait suscité des polémiques à cause des risques d’empoussièrement par l’amiante.
Le Japon se retrouve donc seul face aux déchets : la main d’oeuvre et les exutoires manquent, les décharges légales sont presque pleines et l’important parc d’incinérateurs est loin d’être aux normes. "L’absence à ce jour d’un plan exceptionnel de gestion des déchets tel le "Tsunami Recovery Waste Management" sur l’île de Sumatra ou le 'Hurricane Katrina Debris Management Plan' aux Etats-Unis ne contribue pas à donner du gouvernement japonais une image positive. Attaqué sur le front sismique, humanitaire, nucléaire, sanitaire, et économique, il est tétanisé et navigue entre inertie et omission", indique Robin des Bois.
"Des initiatives informelles comme le brûlage des déchets à l’air libre, ce qui s’est déjà produit dans l’après Kobé, et d’autres voies illégales d’élimination dangereuses sur le plan sanitaire et environnemental pourraient se mettre en place. L’'éco-business' est monnaie courante après les catastrophes et la gestion des déchets au Japon n’est pas la référence mondiale en matière de transparence et de conformité aux conventions internationales", conclut l'association.