Si la taxe carbone a pour vocation de décourager les émissions polluantes, elle a visiblement incité certains à monter une arnaque de haut vol, et même l'escroquerie du siècle : la vente pour 900 millions d'euros de droits carbone, en un peu plus d'un an (avril 2008 et mars 2009) flanquée d'un p'tit oubli : plus de 146 millions de TVA non reversés au Trésor public français... Le parquet national financier a demandé, dans un dossier de fraude à la taxe carbone, un procès pour seize personnes, dont deux des cerveaux présumés de cette gigantesque escroquerie…
En France, la taxe carbone (ou Contribution Climat-Énergie) est une taxe environnementale sur les émissions de gaz à effet de serre ; elle devrait notamment contribuer à l'atteinte des objectifs de la Stratégie nationale bas carbone et à deux objectifs principaux :
décourager les émissions polluantes en faisant payer ceux qui polluent en fonction de leurs émissions ;
induire une évolution des comportements pour se préparer à la diminution des ressources disponibles.
Il reste que le sujet divise...
Dès 2005, l’Union européenne a mis en place le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) qui couvre 45 % des émissions de CO2 en provenance principalement des secteurs de l’énergie et des industries grosses consommatrices d’énergie. Chaque année, les entreprises se voient attribuer, de manière gratuite ou aux enchères, un volume de quota d’émissions de CO2. Les entreprises qui font des efforts pour réduire leurs émissions peuvent ensuite revendre leurs quota, et inversement celles qui émettent trop doivent en acheter. Au 1er janvier 2013, ces quotas deviendront progressivement payants. Ce qui sous entend des transactions financières.
Dans l’affaire appelée "Crépuscule", du nom d'une société qui opérait sur le marché des quotas carbone, les enquêteurs estiment qu'entre avril 2008 et mars 2009 près de 146 millions d'euros de TVA, qui auraient dû revenir à l'Etat, ont été détournés.
Le parquet national financier (PNF), dans son réquisitoire daté du 13 février, demande un procès pour Grégory Zaoui, 45 ans, Cyril Astruc, 43 ans, et douze autres personnes notamment pour « escroquerie en bande organisée »
Il requiert également le renvoi pour blanchiment d'une banque turque et du groupe Julius Baer, l'un des plus importants établissements financiers en Suisse.
Julius Baer, spécialisé dans la gestion de fortune, est accusé d'avoir accueilli des fonds litigieux sans mener les vérifications nécessaires et alors que des signaux sur leur origine douteuse auraient pu l'alerter. « Ce qui lui est reproché excède la simple négligence », note le PNF dans ses réquisitions, d'après une source proche du dossier.
Le dossier Crépuscule est l'une des enquêtes en cours en France sur la fraude colossale à la taxe carbone, qualifiée par certains « d'escroquerie du siècle » et dont la Cour des comptes a estimé en 2012 qu'elle a pu coûter 1,6 milliard d'euros au fisc français.
Dans un autre dossier, l'un des plus gros de l'affaire, le financier Arnaud Mimran et Marco Mouly, autre figure de cette fraude, ont été condamnés en juillet 2016 à huit ans de prison et à une amende d'un million d'euros.
Concrètement, des sociétés fictives achetaient des droits d'émission de CO2 hors taxe dans un pays étranger, avant de les revendre en France à un prix incluant la TVA, puis d'investir les fonds dans une nouvelle opération. La TVA, elle, n'était jamais reversée à l'Etat.
Dans le dossier "Crépuscule", Tracfin, l'office antiblanchiment de Bercy, avait signalé en février 2009 des flux financiers suspects enregistrés sur un compte ouvert par cette société à la Caisse des dépôts (CDC), organisatrice du marché carbone : Crépuscule a vendu entre avril 2008 et mars 2009 plus de 900 millions d'euros de droits carbone, dont plus de 146 millions de TVA non reversés au Trésor public français, relève le PNF, qui ajoute que le produit de l'escroquerie a notamment été blanchi grâce à des virements vers des sociétés offshore...
Grégory Zaoui, mis en examen dans trois autres dossiers similaires, avait pris la fuite en 2014, alors que la justice lui réclamait six millions d'euros de caution pour le laisser libre sous contrôle judiciaire. Il avait été interpellé à l'aéroport de Roissy en mars 2016, placé en détention, puis sous contrôle judiciaire en octobre.
Sollicité par l'AFP, son avocat a annoncé qu'il allait déposer une demande de non-lieu : mise à part l'inscription par M. Zaoui de Crépuscule à la Bourse du carbone, Bluenext, aucun autre élément ne relie mon client à cette société après sept ans d'instruction, a indiqué le défenseur, Manuel Abitbol. Quant au second cerveau de l'affaire, Cyril Astruc, après avoir été interpellé (janvier 2014) à son retour d'Israël, il a été relaxé en juillet dans le procès de l'ancien n°2 de la PJ de Lyon, Michel Neyret, pour "trafic d'influence et corruption". Pour ce qui est des douze autres loustics, cinq sont en fuite... mais visés par un mandat d'arrêt.