Trafic de déchets dangereux: Arcelor passe à travers les mailles du filet
L'histoire avait fait grand bruit en septembre 2008. Arcelor Dunkerque était suspecté d'avoir écoulé du fioul cancérigène au lieu de le confier à une société spécialisée dans sa valorisation. Une information judiciaire avait été ouverte pour "corruption, concussion, faux et usages de faux documents administratifs et exportation non-déclarée pour élimination dans l'Union européenne de déchets nuisibles". Ce qui avait beaucoup surpris, c'est que les douanes avaient constaté les faits en 2004-2005, mais que celles-ci ne les ont dénoncés qu'en juin 2008.
Les sociétés Sollac Dunkerque, le Rubis Terminal (entrepôt d'hydrocarbure dunkerquois), la SONOLUB (société de valorisation des déchets en Seine-et-Marne), un courtier portuaire et un agent des douanes avaient été mis en cause. Sollac déclarait "vendre" son fioul naphtalisé, un produit toxique et cancérigène issu du nettoyage des installations sidérurgistes, à la SONOLUB. En fait, il était stocké par le Rubis Terminal, vendu et convoyé en Belgique où il terminait son cycle comme carburant pour les super-tankers. Rien n'a jamais été traité en Seine-et-Marne et ce, pendant 10 ans (entre 1993 et 2004). Pis! Déclaré comme fioul domestique, le produit a permis des remboursements de TIIP (Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers) par l'Etat.
D'autres affaires de pollution ont sévit avant celle-ci. En 1989, la gestion des déchets entreposés à Sollac-Mardyck avait été dénoncée. Cela avait entraîné une lourde pollution des nappes phréatiques. En 1994, les déchets alors entreposés à Loon-Plage par le biais de STR avaient, eux aussi, engendré une pollution irréversible des sols. STR a été condamné, pas Arcelor. En 2000, des milliers de tonnes de déchets Sollac sont enfouis dans la sablière de Négobat, à Bourbourg. Le site a été fermé mais Sollac a été relaxé, en appel. Il semblerait donc que les vrais pollueurs soient toujours "blanchis"... Et tant pis si ça la fout mal...
L'histoire se répète...en ce qui concerne les déchets toxiques. Le président régional du Mouvement national de lutte pour l'environnement (MNLE), Christian Muys, est partie civile dans le dossier de trafic de déchets dangereux mettant en cause Arcelor. Il est outré de voir que grâce à une subtilité juridique, le numéro Un mondial de la sidérurgie échappera à ses responsabilités. Et pourquoi donc? Parce qu'en matière de responsabilité pénale visant les personnes morales, "la société absorbante n'a pas à répondre des infractions commises pour le compte de la société absorbée. La fusion-absorption fait donc échec aux poursuites pénales, non seulement de la société absorbée, mais également de la société absorbante". C'est que ce stipule un arrêt rendu en juin 2000 par la chambre criminelle de la Cour de Cassation. Les absorptions et changements de raison sociale successifs de l'aciérie préservent Arcelor de toutes poursuites. Christian Muys déclare amer : "pour moi, cette loi, c'est juste une façon de dire aux industries, faites ce que vous voulez, faites-vous absorber, racheter, et vous ne risquerez plus rien".
Au final, Arcelor n'est pas visé par une mise en examen de personnes morales dans cette affaire. Henri-Pierre Orsoni, actuel PDG d'Arcelor-Dunkerque, n'est entendu que comme témoin assisté. Donc, seul l'ex-patron de la SONOLUB a été mis en examen (voir notre dépêche ici). Il a reconnu avoir signé de faux bordereaux de suivi des déchets industriels, de n'avoir pas traité le produit dans ses installations de revalorisation des déchets pour le revendre sous une fausse appellation "pour le compte de Sollac". Les véritables pollueurs peuvent être soulagés.